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À propos – janvier 2021

Article mis en ligne le 30 janvier 2021, publié dans Options n° 663

Capitole : « pile, je gagne ; face, tu perds » Les États-Unis cultivent de longue date une culture du spectaculaire, de l’énorme, de l’indépassable. Raison pour laquelle le cinéaste Michael Moore les avait rebaptisés The Big One. Curieusement, c’est également le nom du tremblement de terre qui, en 1906, a secoué toute la Californie […]

Capitole : « pile, je gagne ; face, tu perds »

Les États-Unis cultivent de longue date une culture du spectaculaire, de l’énorme, de l’indépassable. Raison pour laquelle le cinéaste Michael Moore les avait rebaptisés The Big One. Curieusement, c’est également le nom du tremblement de terre qui, en 1906, a secoué toute la Californie suite à un frémissement de la faille de San Andreas. L’invasion du Capitole par les partisans de Donald Trump, largement à son appel, s’inscrit dans cette double filiation du grotesque et du tremblement de terre. Car sous les allures de show, la faille démocratique est profonde. Le coup de force contre le fonctionnement constitutionnel du processus électoral est venu de loin; il a mobilisé les aficionados de l’action armée et a vraisemblablement profité de sympathies disséminées dans les forces de sécurité. L’arrière-pays qu’il met en lumière est tel qu’on peut s’attendre à un avenir instable et violent. Pour résumer la chose d’une simple formule : Joe Biden a gagné les élections, mais Donald Trump ne les a pas perdues.

Il y a deux façons de gagner. La première consiste à être le meilleur, le plus fort, en l’occurrence à rassembler le plus grand nombre de grands élec- teurs sur son nom. La seconde consiste à accuser l’autre de ne pas respecter les règles du jeu et à en convaincre l’assistance. On pourrait appeler cela tricher, si ce n’est que le tricheur dissimule. Donald Trump, lui, avait d’emblée étalé ses cartes sur l’avenir électoral. La suite n’est que le développement logique de son « pile, je gagne ; face, tu perds». Dès le premier jour de sa présidence, il aura combiné l’excès et la dérision, la transgression agressive et l’ode aux racistes.

Cette métamorphose d’un président des États- Unis en Joker psychopathe et cynique aurait dû, en bonne logique, le conduire à une déroute électorale. Ce n’est pas le cas. Un très grand nombre d’électeurs ont adhéré à cette violence transgressive comme à une revanche prise sur l’adversité : les puissants qui en sont la cause, les bureaucrates qui l’administrent, les étrangers et les pauvres supposés en profiter. Ils sont des dizaines de millions à y adhérer toujours, persuadés à force de tweets que le défait était un vainqueur spolié. La décision de déclencher un assaut contre le Capitole visait à faire de cette anomalie le terrain des affrontements à venir.

Une opinion publique divisée en profondeur

Battu dans les urnes et mal en point dans les médias, le Joker échevelé entend bien – comme dans toute production hollywoodienne qui se respecte – réussir un come-back. Il s’agit donc d’analyser les conditions réelles de sa défaite. Dans son étude monumentale de l’opinion publique sous le IIIe Reich, l’historien britannique Ian Kershaw montre comment il a fallu attendre les revers sur le front de l’Est – avec ce qu’ils entraînaient de difficultés et de privations pour la population allemande – pour que l’opinion publique commence à prendre ses distances avec la figure charismatique du chef de l’État. On peut penser – sans comparaison déplacée entre les deux dirigeants – que le Covid aura été le front de l’Est de Donald Trump, le moment où l’adversité a fracassé les tweets sur le mur du réel.

C’est tout à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Le grain des choses l’emporte certes sur la paille des mots ; mais de façon fragile, qui doit autant à la peur qu’à la raison. Cette ambivalence trouble augure d’une séquence politique sans doute longue et peu lisible. La censure du président putschiste par les réseaux sociaux en

est l’inauguration. Officiellement motivée par le refus du contenu haineux et provocateur des messages présidentiels, elle est si tardive qu’on suspecte à bon droit l’existence d’autres motivations, moins éthiques ; par exemple, la crainte de se retrouver accusé de complicité de putsch. On peut se féliciter de la décision prise par Facebook et consorts, au nom d’un certain pragmatisme, mais elle appelle deux réflexions. La première, c’est que casser le thermomètre n’a jamais fait baisser la fièvre. La seconde, c’est qu’une décision majeure de censure a été prise, dans le champ du débat public, par des entre- preneurs n’ayant d’autre légitimité que celle de leur propre succès commercial. La démocratie représentative a sans doute ses défauts mais s’il faut choisir entre elle et cette nouvelle aristocratie de classe, ce sera vite fait.

Des lois pour (re)façonner la République

En France, nous n’en sommes pas là. Quoique… Le trumpisme est hélas pandémique et prolifère aux quatre coins de la planète, sous de multiples variantes. La France a la sienne. Notre pays est riche de souffrances et de mécontentements ; il abonde en démagogues, en extrémistes aux fronts bas et en entrepreneurs de haine, les uns comme les autres ayant pignon médiatique sur rue. Son modèle démocratique s’essouffle et peine à dégager les voies d’un avenir meilleur, voire d’un avenir tout court. Sa population subit des violences policières et les soubresauts d’un gouvernement qui les nie, puis les couvre, par- fois les découvre et, finalement, les recouvre.

Cette incapacité à leur trouver une issue démocratique signe en fait un rapport dégradé, vertical et de plus en plus antagonique entre l’État et les citoyens, singulièrement ceux qu’il considère comme indûment agités. Au fil des mois, sa liste de suspects s’est allongée : gilets jaunes, syndicalistes, supposés « séparatistes », manifestants écologistes, migrants sans papiers, mauvais républicains, passants ordinaires… Corrélativement à des flirts à peine dissimulés avec des personnalités d’extrême droite, confortablement protégé par un état d’urgence sans fin, l’exécutif provoque une avalanche de projets de lois qui visent à façonner la république à l’image qu’il s’en fait, image qui n’a rien pour (nous) plaire.

Le dernier en date, sous couvert d’en conforter les principes et le respect qui leur est dû, bous- cule carrément le socle de la république. Pour le résumer d’une phrase, il ne s’agirait plus pour vous et moi d’obéir aux lois mais d’y adhérer, sans réserve, sans esprit critique ni arrière-pensées… Donald Trump saturait le débat public sous ses tweets électriques. Emmanuel Macron le met au pas au rythme d’une mécanique parlementaire hors sol. On peut préférer une méthode à l’autre et, nettement mieux, trouver les deux détestables. Quoi qu’il en soit, le réel est là, turbulent …

Pierre TARTAKOWSKY

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Enseignement, entre urgences et alternatives

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 663

Confronté à la colère enseignante et à une puissante aspiration à la revalorisation professionnelle, Jean-Michel Blanquer a organisé un Grenelle de l’éducation avec le projet d’accélérer ses réformes. La Cgt et la Fsu lui opposent
un autre agenda prioritaire, prenant en compte l’immédiat et les perspectives.

PARTICIPANTS :

  • JÉRÔME DEAUVIEAU, PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE À L’ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE ;
  • PATRICK DÉSIRÉ, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CGT-ÉDUC’ACTION ;
  • FRÉDÉRIQUE ROLET, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DU SNES-FSU ;
  • JEAN-PIERRE TERRAIL, SOCIOLOGUE, GROUPE DE RECHERCHE SUR LA DÉMOCRATISATION SCOLAIRE (GRDS) *;
  • PIERRE TARTAKOWSKY, OPTIONS.

Options : L’Unsen-Cgt et le Snes-Fsu ont choisi de se retirer du Grenelle de l’éducation organisé par le ministre, Jean-Michel Qu’est-ce qui motive cette décision, exceptionnelle dans le monde syndical ?

Patrick Désiré : Nous avons participé aux premiers ateliers du Grenelle, dont un certain nombre concernent les carrières des personnels. Nous avons d’ailleurs dû insister lourdement pour être présents dans les 10 ateliers, contre l’avis initial du ministre. Car si l’école est bien l’affaire de tous, des questions telles que l’encadrement et les revalorisations relèvent évidemment des enseignants et de leurs organisations syndicales. Très rapidement, nous avons constaté que les discussions se faisaient en parallèle avec la poursuite d’un agenda social, ce qui était un facteur constant de confusion et d’incompréhension. Le ministre a dit d’emblée que, notamment sur les questions de revalorisation, les annonces liées au résultat du Grenelle seraient faites au mois de février. Mais on s’est surtout retrouvés englués dans des discussions de café du commerce, avec des « personnalités » sympathiques mais ne connaissant rien aux réalités de l’enseignement et des enseignants. Nous étions donc dans des jeux de mise en scène avec, en arrière-plan, le projet d’une organisation plus libérale des missions des enseignants, plus concurrentielle et donc plus sélective pour l’éducation nationale. L’affaire se résumait clairement à un faux-semblant, à être une caution de décisions déjà arrêtées et dont nous combat- tons l’orientation. Compte tenu d’une marge de négociation quasi inexistante, nous avons décidé de claquer la porte. Pour autant, nous continuons évidemment à suivre les discussions dans le cadre de l’agenda social et à jouer notre rôle d’organisation syndicale.

Frédérique Rolet : Ce Grenelle n’était pas censé être un doublon de l’agenda social mais simple- ment l’« imprégner ». Mais la volonté de l’instrumentaliser pour faire passer des réformes du métier, sous couvert d’une adhésion de l’opinion publique, a vite été patente. En général, dans ce type de réunion, on part des travaux pré- existants, des acquis de la réflexion. Qu’on les partage ou non, leur évaluation est précieuse. Cette fois, on nageait dans une sorte de vulgate, mi-bon sens, mi-fausses évidences. Sans aucun moment de synthèse, ni de  clarification  sur les attendus, les conclusions d’étape… Cette carence méthodologique nous installait très loin d’un authentique débat démocratique, productif, sur les attentes vis-à-vis de l’éducation, en termes de formation, de pratiques professionnelles. L’éducation mérite qu’on en parle en distinguant ce qui relève de la réflexion générale et du champ professionnel. Chacun peut dire son mot sur ce qu’il attend d’un système de santé ; mais tout le monde n’est pas légitime à expliquer à un chirurgien comment opérer… Or, le discours ministériel entretenait la confusion des genres, avec à la clé une conception à rebours d’un enseignement démocratisant. Face à des objectifs jamais clarifiés et à une méthode insatisfaisante, nous avons choisi de partir.

Jérôme Deauvieau : Comme sociologue de l’enseignement, également membre du conseil scientifique de l’Éducation nationale, je n’ai pas d’avis sur l’événement en soi. Mais je le situe dans son contexte : le ministère nous a expliqué que la première phase du quinquennat avait consisté à travailler sur la question des premiers apprentissages, notamment l’entrée dans l’écrit, et que la seconde allait concerner le métier d’enseignant. On ne peut pas ignorer que le Grenelle s’inscrit dans un projet d’ensemble de modernisation de la fonction publique, de restructuration de ses missions, de ses fonction- En discuter peut s’entendre, mais il est alors souhaitable de clarifier les objectifs de ces transformations, au service de qui elles s’opèrent et avec quels moyens ? Là, les débats cessent d’être strictement académiques et pédagogiques et s’animent des contradictions sociales et politiques existantes, des possibles qui s’offrent pour les dépasser. Une telle discussion, séparant la réflexion de fond et la gestion des carrières de plus de 1 million de personnes – ce qui n’est pas un détail –, aurait pu s’avérer productive. Mais le mélange des deux aspects ne pouvait être que confus voire problématique.

– Jean-Pierre Terrail : Le ministre souhaite négocier une revalorisation des salaires contre un pilotage plus étroit de ce que font les enseignants dans leurs classes. Sa visée politique s’inscrit dans la lignée du rapport Fauroux de 1996, en passant par le rapport de l’Institut Montaigne de 2010 intitulé «Vaincre l’échec à l’école primaire ». Il s’agit de s’appuyer sur l’efficacité insuffisante de l’enseignement primaire, en soulignant les lacunes réelles constatées à l’entrée en sixième, pour promouvoir une réforme techno-libérale de l’Éducation nationale, transformant notamment les établissements scolaires en entreprises patronnées par un directeur en charge d’embaucher et de débaucher les personnels.

L’accent mis sur l’enseignement primaire fait écho, il faut le dire, à une demande forte tant des parents que du patronat, les deux étant désireux, chacun pour leurs raisons, de voir s’améliorer l’efficacité de l’école élémentaire. L’objectif annoncé selon lequel, à l’issue du Cp, tous les élèves devraient être capables de déchiffrer 50 mots en une minute ne peut que susciter l’adhésion des partisans d’une véritable démocratisation scolaire. Mais ici il va de pair avec des réformes particulièrement inégalitaires qui exacerbent la mise en concurrence entre élèves au lycée et à l’université. Il n’y a rien là que de très logique : tous les élèves qui réussissent en primaire veulent poursuivre leurs études le plus loin possible, et c’est cela que le ministre veut éviter. Le Grenelle répondait aussi à un mécontente- ment puissant, exacerbé par la gestion chaotique de la pandémie en milieu scolaire. Quelle est aujourd’hui le vécu des enseignants quant à leurs conditions de travail et, au-delà des conditions matérielles, du sens de leur métier ?


Frédérique Rolet :
Un très grand nombre de nos collègues se sont retrouvés pris dans un dilemme douloureux, entre l’impératif de santé et la volonté de ne pas pénaliser leurs élèves vis-à-vis d’autres qui, eux, suivent leurs cours en présentiel. C’est le cas dans le privé et dans quelques lycées publics. Du côté des élèves, le confinement a beaucoup mis en lumière les inégalités matérielles ; mais il y a plus important. La distance a rendu plus difficile l’appropriation des coutumes, des routines scolaires, leur incorporation venant ainsi exacerber difficultés et inégalités de situation. Pour y faire face, nous avions très vite proposé de réexaminer les programmes et les examens, en allégeant ou en aménageant là où c’était possible. Cela aurait rassuré les familles, les enseignants, et permis de maintenir les élèves dans un univers scolaire. Le ministre l’a refusé – et le refuse toujours – au nom d’une ambition présentée comme impérative. Or, si elle n’est pas appropriable par l’ensemble des élèves, l’ambition n’est qu’une posture. Il ne s’agit pas de baisser le niveau d’exigence, mais de conduire le plus grand nombre à l’acquisition de savoirs ambitieux tout en étant éventuelle- ment moins pléthoriques. On en est toujours là.

Le ministre reste mû par une vision élitiste de l’enseignement, prend prétexte d’une dévalorisation du diplôme pour refuser tout travail sur les programmes et les épreuves. Or les examens se préparent sur le temps long des apprentis- sages, et pas dans un contexte d’improvisation, sans principes directeurs.

Jérôme Deauvieau : Le confinement a accru les inégalités, c’est À partir des évaluations exhaustives réalisées en début de Ce1, on constate une baisse sensible des acquisitions. C’est préoccupant, mais n’oublions pas que l’écart entre éducation prioritaire et hors éducation prioritaire était déjà là et considérable. Autrement dit, la crise est un révélateur qui dévoile l’anormalité du fonctionnement ordinaire du système éducatif d’avant la pandémie. Le mécanisme de production des inégalités, notamment dans le primaire, s’est trouvé en quelque sorte boosté par le confinement. Je ne plaiderai donc en aucun cas pour un retour à la normale, qui est un régime de scolarisation profondément inégalitaire dès les premiers apprentissages.

Patrick Désiré : Les trois réformes que Blanquer a mises en place ont en commun d’accentuer le tri social, mais cet objectif n’est pas assumé par le ministre. En ce qui concerne la voie professionnelle, il s’agit notamment de développer comme jamais auparavant l’apprentissage, de réduire l’enseignement général, ce qui pénalise à long terme des élèves venant souvent de milieux défavorisés. À quoi s’ajoute le fait que la crise sanitaire a des effets ravageurs sur les lycées professionnels. Des filières comme l’hôtellerie se sont soudain trouvées privées de débouchés pour les stages en entreprises, on a vu revenir

des élèves dans le système éducatif suite à des ruptures de contrat… Il faut se souvenir qu’un bachelier sur trois vient de la voie professionnelle, c’est considérable. Là encore, le ministre a refusé toute adaptation de l’examen. Quant à l’éducation prioritaire, les expérimentations qui vont être mises en place dès la prochaine rentrée nous font craindre des bouleversements imminents, toujours dans le même esprit…

– Ne pas envisager un retour à la normale… comment faire ? Comment peser sur les termes du débat public et partant, du rapport de force ?

– Jean-Pierre Terrail : Bien que, dans le domaine scolaire, la question des changements profonds qui éviteraient un retour à l’anormal (en l’occurrence à une école profondément inégalitaire) ne soit pas encore sur le devant de la scène, je vois deux raisons très fortes pour que le débat s’ouvre sans délai. Il s’agit, d’une part, de l’urgence de stopper l’hémorragie qu’on observe depuis le milieu des années 1980. La fixation d’objectifs ambitieux en matière d’allongement des scolarités sans toucher aux structures ni aux pratiques d’enseignement a alors déclenché un processus délétère : depuis lors, les courbes respectives de la certification scolaire et des acquisitions cognitives réelles n’ont cessé de s’écarter, la première à la hausse, la seconde à la baisse. Une baisse qui affecte aujourd’hui jusqu’aux « héritiers ».

La seconde raison, c’est que cette baisse des acquisitions cognitives s’opère – profond paradoxe – dans un contexte marqué par une complexité croissante de nos sociétés mondialisées, comme par une accélération foudroyante des connaissances scientifiques et techniques. Comment, sans inverser radicalement la tendance, espérer lutter contre les tentations populistes – dont la meilleure prévention réside dans la promotion scolaire des connaissances, la chose est internationalement avérée – et pour une chance d’issue démocratique au chaos du monde, qui suppose la formation et l’essor de la capacité de chacun à penser et à affronter les problèmes qui se posent à tous ?

Jérôme Deauvieau : Le statu quo n’est effectivement plus tenable. Pour y échapper, il faut d’abord réarmer le métier d’enseignant, du point de vue salarial bien sûr, mais aussi de sa qualité propre, du plaisir qu’il y devrait y avoir à l’exercer pour affronter les défis du xxIe siècle. C’est fondamental, singulièrement dans l’enseigne- ment primaire. Le syndicalisme doit porter ce débat-là. Ensuite, il faut repenser les structures du système éducatif. Aujourd’hui, il existe trois voies – générale, technologique et professionnelle – qui mènent aux 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat. La distance en termes de maîtrise des savoirs entre les élèves de ces trois voies ne cesse de s’amplifier, la dernière réforme en date de la voie professionnelle accentuant encore le phénomène. Pour moi, la seule voie démocratique possible c’est l’amélioration sensible des premiers apprentissages et le dépassement de cette filiarisation du lycée. Un véritable lycée unique, lieu d’une culture commune, est à mes yeux la seule réponse à la hauteur des La défense d’un projet démocratique et progressiste d’éducation ne peut se faire dans le cadre d’un système mis en place pour reproduire stricte- ment la distribution inégalitaire des savoirs selon les classes sociales d’origine. C’est un débat ancien pour le syndicalisme enseignant, avec lequel il devrait renouer plutôt que s’épuiser à revendiquer des passerelles pour rapprocher ces trois voies.

Patrick Désiré : Je pense effectivement que le dépassement de ces trois voies est à mettre en perspective. De fait, beaucoup d’organisations syndicales essaient de penser le métier et les évolutions qui pourraient modifier le paysage actuel, le structurer différemment. Il est clair que personne ne réclame le statu quo ; tout le problème est de savoir quel changement on veut et comment parvenir à inscrire ces idées dans le débat public, à leur donner force, à les faire partager par de larges couches de la société, y compris dans les milieux qui ont vocation à diriger le pays. C’est un énorme enjeu pour les années qui viennent. Reste qu’à l’évidence, nous n’avons pas été capables de bloquer la mise en place de réformes majeures de régression sociale dans les dix dernières années et que cela pèse sur nos capacités actuelles à inverser la tendance. D’où l’urgente nécessité à réfléchir aux moyens d’articuler revendication et projet, court terme et long terme, afin de renouveler les termes du rapport de force. La journée d’action du 26 janvier s’inscrit dans cet agenda, comme ses suites.

– Frédérique Rolet : Le malaise enseignant a une bonne trentaine d’années derrière lui. Dans la conjoncture actuelle il se traduit par des difficultés de recrutement, une augmentation des démissions et une montée du couple autonomie-prescription : plus il y a d’injonctions à l’autonomie, plus on est prescriptif. C’est une réalité que les cadres connaissent bien partout. Au-delà, il faut prendre en compte des tendances lourdes qui structurent la place intrinsèque de l’école dans la société. C’est la hiérarchie sociale qui rejaillit très clairement sur la hiérarchie des disciplines et des lois. On sait par exemple que la valorisation de savoirs conceptuels entrave profondément cette idée d’une réunification des trois voies. Pour toutes ces raisons, je ne suis pas certaine que la question des structures soit la porte d’entrée la meilleure. Le gouverne- ment surfe énormément sur l’idée de certains parents qui, en toute bonne foi, considèrent que leurs enfants doivent se construire au détriment des autres. Il plaque là-dessus ses thèmes d’individualisation et de mise en concurrence, expliquant que chacun est responsable de son devenir, de son échec ou de sa réussite. Nous avons d’abord un énorme travail à de mise en débat, tant avec nos collègues qu’en direction de l’opinion publique.

 

Lire aussi :

https://journaloptions.fr/2021/01/ecole-les-conditions-de-la-democratie/

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Enseignants : «Laisser nous bien enseigner» – Options 663

Article mis en ligne le 25 janvier 2021,

Confrontées à un Grenelle de pacotille et à un projet de budget hors sol, les organisations syndicales du monde enseignant – Fsu, Cgt, FO, Sncl et Solidaires – ont appelé à la grève pour exiger des créations de postes, une autre politique éducative, le dégel de la valeur du point d’indice et une revalorisation significative […]

Confrontées à un Grenelle de pacotille et à un projet de budget hors sol, les organisations syndicales du monde enseignant – Fsu, Cgt, FO, Sncl et Solidaires – ont appelé à la grève pour exiger des créations de postes, une autre politique éducative, le dégel de la valeur du point d’indice et une revalorisation significative des salaires et des carrières.
C’est que la gabegie régnante et la débrouille qui en résulte sont de mauvais augure pour l’avenir: celui des enseignants comme celui des élèves et, au-delà, du niveau général de qualification et de démocratie de la société. (suite…)

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École : les conditions de la démocratie

Article mis en ligne le 20 janvier 2021, publié dans Options n° 663

Les systèmes scolaire et universitaire ont été confrontés ces dernières semaines à deux demandes inhabituelles: ici, que les enseignants se transforment en hussards de la laïcité; là, que les chercheurs abandonnent leur prétendue accointance avec le fanatisme. Analyse d’un sociologue, spécialiste de la marginalité juvénile, de l’école et des institutions.

point de vue de FRANÇOIS DUBET PROFESSEUR ÉMÉRITE À L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX, DIRECTEUR D’ÉTUDES À L’EHESS

Comment pourrait-on  soutenir  les  attaques du ministre de l’Éducation  nationale  contre l’« islamo-gauchisme » à l’université ? Bien sûr, je les désapprouve. Mais j’observe une double dérive. La première est une difficulté croissante à débattre, dont j’aimerais qu’elle ne conduise pas vers le modèle américain de l’intolérance académique au nom de la tolérance universelle. La seconde est la difficulté française, fort ancienne, à comprendre le religieux. Pour les uns, c’est un obscurantisme qu’il faut abattre. Pour les autres, l’urgence est de défendre la religion des opprimés… Quelle critique raisonnable peut-on développer pour sortir de cette opposition dont on peut craindre que la crise renforce le camp le plus identitaire ?

Première chose : comprendre d’où on vient. Et, pour cela, comprendre les enjeux autour de la laïcité en admettant que la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État s’est déployée dans une société fort différente de la nôtre : culturelle- ment catholique et profondément scindée entre ceux qui s’affirmaient comme tels et ceux qui, au contraire, revendiquaient leur anticléricalisme. Nous n’en sommes plus là. À l’organisation de notre société autour des classes sociales s’en est ajoutée une dans laquelle les inégalités grandissantes rendent encore plus difficile les processus d’intégration. L’école dans tout ça ? Elle a suivi le mouvement et s’est transformée en même temps que la société. L’école laïque portait un double projet : reprendre l’autorité que l’Église avait sur les enfants et se faire un sanctuaire dans lequel ceux-ci devaient laisser à la porte des établisse- ments ce qu’ils étaient. Nous n’en sommes plus là. La massification de l’enseignement a boule- versé l’école et l’adolescence qui n’y avait pas droit de cité s’y est imposée en même temps que les inégalités du monde.

Tandis qu’il y a encore cinquante ans, les élèves oubliaient qui ils étaient quand ils franchissaient la porte des établissements, aujourd’hui, ils y pénètrent avec leur identité en étendard. Et alors que l’appartenance sociale décidait du parcours scolaire d’un enfant – certains parvenaient naturellement à l’enseignement secondaire et universitaire, d’autres pas –, aujourd’hui c’est l’école qui est chargée de faire le tri. Dès lors, il ne faut pas s’étonner qu’elle soit perçue, par les familles des quartiers populaires, comme responsable de la montée des injustices. « L’école des Blancs » : cette expression s’alimente de l’illusion perdue d’une école capable de changer le cours social des choses. Elle en est le fruit.

Comment s’en sortir ? En luttant contre les ghettos sociaux et culturels : tant que nous en accepterons l’existence, l’ambition démocratique que porte l’école sera menacée. Ensuite, il faut admettre que l’on ne peut enseigner les valeurs de la République aujourd’hui comme on le faisait dans les années 1920. Il faut prendre en compte la réalité dans laquelle évoluent les enfants sans jamais oublier qu’un cours sur la tolérance n’a de sens que si celle-ci peut être vécue à l’extérieur de la classe. Le projet démocratique n’est pas seulement une leçon, c’est une pratique. Une pratique qui doit être reconnue par l’affirmation d’une communauté éducative qui ne peut pas être constituée d’une juxtaposition d’enseignants et de jeunes, chacun évoluant sur leurs parallèles. Le débat doit trouver sa place dans l’enceinte même des établissements si l’on veut que les cours d’histoire ou de philosophie ne soient pas balayés par les fake news et les thèses complotistes qui font tant de ravages chez les jeunes.

L’école n’est plus le sanctuaire qu’elle était sans parents, sans adolescents et sans mixité. Prenons-en acte et composons avec cette évidence en revenant à un recrutement qui permette l’existence d’un corps enseignant à l’image de la société : constitué également par des personnes issues dans les milieux populaires. Et surtout, sortons de ce jacobinisme qui laisse supposer que des circulaires, seules, peuvent aider les professeurs à répondre aux questions qui travaillent les élèves. La laïcité est l’art du compromis. Elle ne se construit pas sur des directives mais sur des échanges et des l’admettre aurait peut-être évité le pire à Samuel Paty, et la solitude qu’il a dû affronter.

Propos recueillis par Martine HASSOUN

Lire aussi :

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Fonction publique – Le rapport social unique

Article mis en ligne le 30 décembre 2020, publié dans Options n° 662

L’article 5 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019, dite de transformation de la fonc- tion publique 1, prévoit que l’ensemble des administrations ont l’obligation d’élaborer chaque année un rapport social unique (Rsu). Il devra rassembler les éléments et données sur la base des- quels sont établies les lignes directrices de gestion déterminant […]

L’article 5 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019, dite de transformation de la fonc- tion publique 1, prévoit que l’ensemble des administrations ont l’obligation d’élaborer chaque année un rapport social unique (Rsu). Il devra rassembler les éléments et données sur la base des- quels sont établies les lignes directrices de gestion déterminant la stratégie plu- riannuelle de pilotage des ressources humaines dans chaque administration, collectivité territoriale et établissement public. Ces éléments et données sont notamment relatifs à la gestion prévi- sionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (Gpeec), aux parcours professionnels, aux recrutements, à la formation, à la mobilité, à la promotion, à la rémunération, à l’égalité profession- nelle entre les femmes et les hommes, à la diversité, à la lutte contre les discrimi- nations, au handicap ainsi qu’à l’amélio- ration des conditions et de la qualité de vie au travail. Ces éléments devront être renseignés à partir d’une base de données sociales accessible aux membres des ins- tances de dialogue social.

Le responsable de chaque administration devra présenter au comité social territorial (actuellement au comité technique) le rapport social unique de l’administration, de la collectivité, de l’établissement ou du service auprès duquel ce comité a été créé. Ce rapport devra indiquer les moyens budgétaires et en personnel dont dispose cette administration, collectivité, cet établissement ou ce service.

Ce dispositif se substitue aux actuels bilans sociaux.

Pour ce faire, le décret n° 2020-1493 du 30 novembre 2020, « relatif à la base de données sociales et au rapport social unique dans la fonction publique » fixe les conditions et modalités de mise en œuvre pour les trois versants de la fonction publique. Il précise le périmètre, la

portée, le contenu et les règles de mise à disposition et de confidentialité de la base de données sociales et du rapport social unique.

I/ Les dispositions relatives à la base de données sociales

La base de données sociales, doit être élaborée et mise en place par chaque administration ou établissement auprès duquel est placé un comité social d’administration, un comité social territorial ou un comité social d’établissement, dénommé ci-après « comité social » (art. 1er du décret).

Le II de l’article 1er du même décret énumère le contenu de la base de données sociales. Cette base doit être dressée sous forme dématérialisée et concerner les données concernant les agents relevant du comité social (y compris les agents de droit privé) Ces données peuvent égale- ment porter sur des agents qui ne sont pas électeurs de ce comité, mais sont rémunérés ou accueillis par ces administrations ou établissements.

Les données mentionnées par la loi (voir ci-dessus l’article 5 de la loi du 6 août 2019) doivent être présentées par sexe. Elles peuvent également être présentées selon des critères relatifs à l’âge, au statut d’emploi, à la catégorie hiérarchique, à la zone géographique d’affectation et à la situation de handicap des agents concernés. Ces données contribuent également à l’établissement du rapport annuel un rapport sur les mesures mises en œuvre pour assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes 2 (III de l’article 1er du décret précité).

Des arrêtés du ministre chargé de la fonction publique, du ministre chargé des

collectivités territoriales et du ministre chargé de la santé préciseront, respectivement en ce qui concerne chaque versant de la fonction publique, la liste, la structuration et la présentation des don- nées contenues dans les bases de don- nées sociales. Ils préciseront également les modalités d’accès par ces mêmes ministres à ces bases en vue de l’agrégation des données (IV de l’article 1er).

Les collectivités territoriales et leurs établissements publics affiliés à un centre de gestion devront adresser les données dont ils disposent au centre dont ils relèvent au moyen du portail numérique mis à leur disposition. Ce portail sera également accessible aux collectivités territoriales et à leurs établissements non affiliés à un centre de gestion (article 2).

La base de données sociales est actualisée chaque année. L’actualisation donne lieu à une information des membres du comité social. Si l’absence, dans la base d’une donnée se rapportant à un thème, résulte de circonstances exceptionnelles ou de son indisponibilité, l’autorité compétente devra en préciser les raisons. La base ne devra pas comporter de données nominatives et les données seront traitées de sorte qu’aucune personne ne soit identifiable (article 3).

Pour l’exercice de leurs missions, les membres du comité social concerné doivent être en mesure de consulter et d’extraire les données de la base de don- nées sociales selon des modalités précisées par l’autorité compétente.

Les membres du comité social sont tenus à une obligation de discrétion à l’égard des données figurant dans la base revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l’autorité compétente. La durée du caractère confidentiel de ces données devra être précisée par cette autorité (article 4).

II/ Les dispositions relatives au Rsu

À partir des données contenues dans la base précitée, le rapport social unique (Rsu) doit présenter les divers éléments ainsi que les analyses permettant d’apprécier notamment :

1° les caractéristiques des emplois et la

situation des agents relevant du comité social ainsi que, le cas échéant, de ceux qui ne sont pas électeurs de ce comité ; 2° la situation comparée des femmes et des hommes et son évolution ;

3° la mise en œuvre des mesures relatives à la diversité, à la lutte contre les discriminations et à l’insertion professionnelle, notamment en ce qui concerne les personnes en situation de handicap (article 5).

Le Rsu doit être établi chaque année au titre de l’année civile écoulée.

Lorsque l’activité de la gestion des res- sources humaines relève d’une périodicité annuelle différente de l’année civile (Éducation nationale, par exemple) les informations qui s’y rapportent doivent être présentées dans le rapport selon cette périodicité.

Le rapport devra également comporter les informations se rapportant au moins aux deux années précédentes et, lorsque c’est possible, aux trois années suivantes (article 6 du décret).

S’agissant des collectivités territoriales et de leurs établissements employant moins de 50 agents affiliés à un centre de gestion, le Rsu devra être établi par le président du centre et portera sur l’ensemble de ces collectivités et établissements. Le centre de gestion recueillera donc auprès d’eux les informations nécessaires à l’élaboration de ce rapport dont il ne dispose pas (article 7).

Au plus tard un mois avant la présentation du Rsu au comité social, l’autorité compétente devra informer les membres de ce comité, selon des modalités qu’elle fixera, que la base de données sociales actualisée à partir de laquelle le rapport a été établi est accessible (article 8).

Le Rsu devra être transmis aux membres du comité social avant sa présentation. Il devra donner lieu à un débat sur l’évolution des politiques des ressources humaines.

Dans les collectivités territoriales et leurs établissements publics, l’avis du comité social territorial devra être transmis dans son intégralité à l’assemblée délibérante. Dans les collectivités ou les établissements de 50 agents ou plus affiliés à titre obligatoire ou volontaire à un centre de gestion, le rapport devra, en outre, être transmis par l’autorité territoriale à ce centre (article 9 du décret).

Enfin, dans un délai de 60 jours à compter de la présentation du Rsu au comité social et au plus tard avant la fin de la période annuelle suivant celle à laquelle il se rapporte, ce rapport devra être rendu public par l’autorité compétente sur son site internet ou, à défaut, par tout autre moyen permettant d’en assurer la diffusion (article 10).

III/ Les dispositions relatives à l’entrée en vigueur du décret du 30 novembre 2020

Ces dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2021 (article 12 du décret). Toutefois :

1° La base de données sociales prévue à l’article 1er dudit décret devra être mise en place au plus tard le 31 décembre 2022, les membres du comité technique 3 étant informés des conditions et du calendrier de son élaboration ainsi que des modalités de son accessibilité ;

2° le Rsu prévu par l’article 5 dudit décret portant sur les années 2020, 2021 et 2022 sera élaboré à partir des données dispo- nibles ;

3° le Rsu portant sur les années 2020 et 2021 devra être présenté aux membres du comité technique compétent.

IV/ Les dispositions abrogées par le décret du 30 novembre 2020

L’article 13 de ce décret abroge, en particulier :

1° le décret n° 88-951 du 7 octobre 1988, relatif au bilan social dans les établissements publics énumérés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dis- positions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

2° le décret n° 97-443 du 25 avril 1997, relatif au rapport pris en application de l’avant-dernier alinéa de l’article 33 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

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Comité social et économique – Le respect des délais de consultation

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 662

Les délais de consultation du Comité social et économique (Cse) doivent être suffisants pour lui permettre d’émettre un avis. La jurisprudence apporte de nouvelles précisions importantes sur le calcul
de ces délais et notamment sur la possibilité de les modifier par accord entre l’employeur et le comité social et économique.

par Michel CHAPUIS

Le nouveau droit applicable

Depuis  l’entrée en  vigueur des  lois n° 2013-504 du 14 juin 2013 (« loi Sapin ») et n° 2018-994 du 17 août 2015 (« Rebsamen »), la procédure d’information-consultation des institutions représentatives  du  personnel  est  encadrée par des délais qui peuvent être fixés par accord. À défaut d’accord, et lorsque la loi ne fixe pas de délais spécifiques, les délais de consultation du comité  sont fixés par décret. À l’expiration de ce délai, le comité est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif.

Depuis les nouveaux textes (ordonnance et décret de l’automne 2017), le Code du travail prévoit :

  • Le comité social et économique émet des avis et des vœux dans l’exercice de ses attributions consultatives ;
  • il dispose à cette fin d’un délai d’examen suffisant et d’informations précises et écrites, transmises ou mises à disposition par l’employeur, et de la réponse motivée de l’employeur à ses propres observations (art. 2312-15).

Sauf dispositions législatives spéciales, l’accord d’entreprise ou, en l’absence de délégué syndical, un accord entre l’employeur et le comité social et économique ou, le cas échéant, le comité social et économique central, adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité, ou, à défaut d’accord, un décret fixe les délais dans lesquels les avis du comité social et économique ou, le cas échéant, du comité social et économique central sont rendus dans le cadre des consultations.

Ces délais permettent au comité social et économique ou, le cas échéant, au comité central d’exercer utilement sa compétence, en fonction de la nature et de l’importance des questions qui lui sont soumises (art. L. 2312-16).

Pour l’ensemble des consultations pour lesquelles la loi n’a pas fixé de délai spécifique, le délai de consultation du comité social et économique court à compter de la communication par l’employeur des informations prévues par le Code du travail pour la consultation ou de l’information par l’employeur de leur mise à disposition dans la base de données économiques et sociales (art. R. 2312-5).

L’affaire

Faits et procédure

Selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 8 janvier 2019), statuant en la forme des référés, le comité d’entreprise de la société Lur Berri a désigné un expert-comptable pour l’assister dans le cadre des consultations annuelles obligatoires notamment sur la situation économique et financière et la politique sociale de l’entreprise.

Invoquant le dépassement par l’expert des délais impartis pour l’exercice de sa mission, la société a saisi le président du tribunal de grande instance pour voir dire que les honoraires réclamés par l’expert n’étaient pas dus.

Réponse de la Cour de cassation, chambre sociale (arrêt du 8 juillet 2020, Scop Syndex c/ Lur Berri)

« 5. Le délai court à compter de la date à laquelle le comité d’entreprise a reçu une information le mettant en mesure d’apprécier l’importance de l’opération envisagée et de saisir le président du tribunal de grande instance s’il estime que l’information communiquée est insuffisante.

6. Un accord collectif de droit commun ou un accord entre le comité d’entreprise et l’employeur peut cependant fixer d’autres délais […], les prolonger, ou modifier leur point de départ.

7. En l’espèce, la cour d’appel a constaté, par motifs propres et adoptés, qu’à la suite d’échanges avec le comité d’entreprise et le cabinet d’expertise, l’employeur a abondé la base de données économiques et sociales le 23 janvier 2017, provoqué une réunion extraordinaire du comité d’entreprise le 16 février 2017 pour discuter du périmètre et du coût de l’expertise puis fixé, conjointement avec le secrétaire du comité d’entreprise, au 27 avril 2017 la date de restitution des travaux d’expertise et de remise des avis du comité d’entre-

8. La cour d’appel a pu déduire de ses constatations que les délais de consultation du comité d’entreprise, et par conséquent de l’expertise, avaient d’un commun accord été prolongés jusqu’au 27 avril 2017 de sorte que le rapport d’expertise remis avant cette date n’avait pas été déposé hors délai. »

Apport de la décision

La chambre sociale « admet une certaine souplesse dans la forme de l’accord modifiant les délais de consultation. Pour tenir compte des réalités des négociations de terrain, et éviter le contentieux que pour- rait générer une appréciation trop stricte de la condition d’accord, l’arrêt admet que la fixation d’un commun accord entre l’employeur et le comité d’entre- prise, dans le cadre de discussions sur les pièces à fournir et sur ces délais, d’une date ultérieure pour la réunion au cours de laquelle le comité d’entreprise devait rendre son avis vaut accord de prorogation des délais.

« Il en résulte que l’accord permettant de modifier les délais de consultation […] peut s’entendre, soit d’un accord collectif de droit commun, soit d’un accord avéré entre l’employeur et le comité d’entre- prise. » (Lettre de la chambre sociale n° 5, juillet 2020).

 

 

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Syndicalisme : l’action au défi du confinement

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 662

PRIVÉES EN GRANDE PARTIE DU CONTACT DIRECT AVEC LES SALARIÉS, LES ORGANISATIONS TENTENT DE S’ADAPTER ET D’INNOVER EN UTILISANT LES OUTILS NUMÉRIQUES. ILLUSTRATION AVEC L’UFICT CGT-MINES-ÉNERGIE.

C’était il  y  a  un  peu  plus  d’un an : à l’appel de l’intersyndicale des industries électriques et gazières (Cgt, Cgc, Cfdt et Fo), la journée de mobilisation contre le projet Hercule (voir Options, octobre 2019) était qualifiée d’« exceptionnelle », tant pour les personnels d’exécution ou la maîtrise que pour l’encadrement. En cette fin du mois de novembre 2020, alors que les négociations entre l’État français et la Commission européenne semblent s’accélérer, le second confinement a suscité une réflexion sur les modes d’action dans les organisations, privées en grande partie du contact direct avec les salariés.

C’est le cas pour l’Ufict Cgt-Mines- Énergie, qui a  pris  parti  du  contexte créé par la crise sanitaire pour tenter de s’adapter en utilisant le potentiel des outils numériques : « Nous sommes partis d’un double constat, explique Virginie Gonzales, secrétaire générale de l’Ufict : l’insuffisance du tractage au regard de la complexité du projet Hercule ; la difficulté à organiser des réunions d’information syndicale “classiques” alors que les salariés, pour beaucoup, ne sont pas sur site. » Le choix a été fait d’organiser, sur une plateforme de visioconférence, un « webinaire » de décryptage du projet de démantèlement d’Edf et du plan Clamadieu chez Engie, à destination des organisations d’ingénieurs, cadres et techniciens (Ict) :

« Il s’agissait à la fois de permettre une appropriation des enjeux pour être relayés sur le terrain et de faire preuve d’initiative et d’innovation », explique-t-elle.

Structuré  en   deux   débats   identiques, le webinaire a fait intervenir Delphine Leblanc, élue au Cse d’Engie, Philippe Lepage et Jean-Paul Rignac, administrateurs salariés d’Engie et d’Edf, sur trois thématiques : le décryptage des choix stratégiques ; leur impact à moyen et long terme tant sur l’avenir industriel que sur celui des emplois ; l’alternative proposée par la fédération au travers du Plan progressiste pour l’énergie (Ppe).

Le succès numérique a surpris : environ 490 participants pour les deux réunions. Si le premier débat a plutôt intéressé les militants, le second a intégré, par bouche-à-oreille, davantage de salariés.

« On peut le déduire des questions posées et des remarques postées sur le chat, axées sur l’impact direct de ces stratégies, en termes d’avenir personnel, de statut ou d’activités sociales », remarque Virginie Gonzales.

Des salariés intéressés par un format inhabituel

C’est un des points positifs du webinaire organisé en deux temps : il a probable- ment attiré des salariés qui ne seraient pas venus aux réunions d’information syndicale sous leur forme habituelle, même si l’impossibilité de se connecter à la plateforme avec le matériel d’entreprise reste un problème. C’est une supposition, car le système fonctionnant « en aveugle », il n’est pas possible d’affiner l’observation : pas d’image ni de connaissance des participants, pas de communication verbale, pas de précision sur les temps de connexion… « Dans l’immédiat, il est en effet difficile d’avoir des éléments d’appréciation sur un format qui nous prive en quelque sorte d’interaction la salle, avec une réelle difficulté à orienter les débats, souligne Virginie Gonzales. Mais les premiers retours sont très bons et nous avons des demandes pour réitérer l’expérience, sous des formats différents comme des table rondes, plus dynamiques.» L’expérience, dans tous les cas, vient en complément et ne se substitue pas aux autres modes d’action, sous diverses formes : appel à la grève et intervention sur la production, pétition, interpellation des parlementaires… En ce 26 novembre 2020, la crise sanitaire n’a d’ailleurs pas été un obstacle majeur à l’appel de l’inter- syndicale : la mobilisation des personnels a été forte dans certaines entités du groupe Engie et à Edf, avec des taux de grévistes supérieurs à 35 %. Preuve, pour l’intersyndicale d’un « ancrage profond et durable du refus d’Hercule ».

Christine LABBE

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Sondage – Du côté des techs et professions intermédiaires

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 662

LA DERNIÈRE LIVRAISON DU SONDAGE RÉALISÉ RÉGULIÈREMENT PAR L’INSTITUT VIAVOICE POUR LE COMPTE DE L’UGICT ÉCLAIRE LES ASPIRATIONS DE CATÉGORIES TROP SOUVENT COINCÉES DANS LE « NI-NI » (NI OUVRIERS, NI CADRES) AU DÉTRIMENT D’IDENTITÉS À LA FOIS PROPRES ET PARTAGÉES.

Les trois grandes priorités des pro- fessions techniciennes et intermédiaires se déclinent dans l’ordre suivant : d’abord, l’équilibre vie privée/vie professionnelle (63 %) ; ensuite le salaire (56 %) ; enfin, le contenu et le sens du travail (45 %). La sécurité de l’emploi devient la 4e  préoccupation – 30 % contre 24 % en 2019 –, passant avant la charge et le temps de travail. Dans l’industrie, la sécurité de l’emploi atteint 37 % et la 3e place, ex æquo avec le contenu et le sens du travail. Une première depuis l’existence de ce baromètre, signe des destructions d’emploi qui ont déjà commencé dans l’industrie, et du chantage à l’emploi qui vise les professions intermédiaires.

Chez les 18-29 ans, le salaire est la priorité (62,1 %) ; vient ensuite l’équilibre vie privée/vie professionnelle (58,8 %). Chez les 29-39 ans, ces deux priorités s’inversent : 71,2 % contre 60,4 %, cette tranche d’âge étant souvent marquée par le début de la parentalité.

L’intrusion et l’usage actuels des outils numériques intensifient le travail et pro- longent le lien de subordination hors travail en effaçant les frontières spatio- temporelles. Ainsi, 57 % des professions techniciennes et intermédiaires déclarent travailler plus de quarante heures par semaine, et même 20 % plus de quarante- cinq heures.

Pour préserver leur vie personnelle et leur santé, 61 % des professions intermédiaires souhaitent donc disposer d’un droit à la déconnexion effectif. Ces résultats traduisent une aspiration forte à dis- poser d’un cadre de vie plus équilibré, dans et hors travail.

L’augmentation de la charge de travail se généralise

L’augmentation de la charge de travail est une réalité largement partagée dans les professions techniciennes et intermédiaires, à hauteur de 53 % quels que soient le secteur professionnel et la taille

de l’entreprise. On note cependant une augmentation de la charge de travail plus forte dans la fonction publique (63,1 % contre 49 % dans le privé), notamment dans la fonction publique hospitalière avec 73 % des répondant·es.

Par ailleurs les femmes sont 57 % à pointer une augmentation de leur charge de travail, contre 48 % des hommes. Seuls 9,6 % des sondés estiment que leur charge de travail a baissé. Ce chiffre atteint 16 % dans l’industrie, du fait de la crise sanitaire et des mesures de chômage partiel. Enfin, 38 % des sondés estiment que leur charge de travail est restée stable.

Les heures supplémentaires se banalisent

Les heures supplémentaires se sont banalisées au point d’être structurellement nécessaires pour assurer l’activité professionnelle normale, même en période de baisse d’activité économique.

Cette réalité est partagée par 49 % des sondés, un chiffre en baisse de 5 points  par rapport à 2019, du fait de la crise sanitaire et de la réduction de l’activité économique. À noter, malgré la forte baisse d’activité dans le commerce et dans l’industrie, que ce sont tout de même près de la moitié des techniciens et professions intermédiaires qui déclarent y effectuer des heures supplémentaires, signe de leur caractère structurel. Une situation très inégale selon les secteurs, avec un pic à 68,4 % des sondés qui, dans la fonction publique hospitalière, déclarent effectuer des heures supplémentaires ! Les jeunes (moins de 30 ans) sont ceux qui sont le plus concernés (57 %). À noter en revanche : le nombre de techniciens et de professions intermédiaires déclarant que leurs heures supplémentaires ne sont ni payées ni récupérées augmente sensiblement et atteint 37 % des son- dés, avec un pic de 50 % dans la fonction publique d’État !

L’urgence du droit à la déconnexion

L’usage actuel des technologies de l’information et de la  communication  participe à l’intensification du travail. C’est ce que vivent les professions techniciennes et intermédiaires de manière très claire (53 %).

Cette réalité est sensiblement plus forte dans la fonction publique par rapport au secteur privé (56,4 % contre 50,2 %). Sans surprise, le débordement de la vie professionnelle sur la vie privée est une réalité pour 1 sondé·e sur 2, en nette augmentation par rapport à 2019 du fait de l’ex- tension du télétravail en mode dégradé. Les femmes sont plus nombreuses à se dire concernées (50 % contre 45,3 % des hommes).

L’intensification et l’accélération du tra- vail sont sensibles : 53 % des techniciens et professions intermédiaires  estiment que le numérique se traduit par une intensification de leur travail. Dans le même temps, 43 % des sondé·es estiment que les nouvelles technologies facilitent le travail, un constat plus marqué pour les femmes (47,4 % contre 38,5 % pour les hommes).

Avec l’usage actuel des nouvelles technologies,  les  professions  techniciennes et intermédiaires sont contraintes à une importante disponibilité et à une réactivité permanente afin de répondre aux multiples sollicitations liées aux difficultés à accomplir ses tâches dans un contexte d’intensification du travail, de dispersion et de fragmentation de l’activité. Quant au droit effectif à la déconnexion, 61 % des professions techniciennes et intermédiaires souhaitent en disposer.

Cette aspiration est aujourd’hui large- ment majoritaire quels que soient la taille de l’entreprise et le secteur d’activité. Suite à l’entrée du droit à la déconnexion dans le Code du travail – gagnée par l’Ugict-Cgt en 2016 –, force est de constater, dans les faits, l’insuffisance de la loi qui autorise l’employeur à s’en sortir, à défaut d’accord, avec une « charte » uni- latérale.

L’éthique professionnelle est mise à mal

Les répondants sont 65 % à estimer que les choix et pratiques de leur entreprise ou administration entrent en contradiction avec leur éthique professionnelle : souvent (16 %) ou de temps en temps (49 %). Ce chiffre est plus élevé dans le secteur public et notamment dans la fonction publique hospitalière, où 75 % des répondants disent rencontrer des conflits éthiques – dont 25 %, souvent ! Un chiffre qui renvoie à l’ampleur de la maltraitance institutionnelle dénoncée par les soignants.

Hors présence syndicale, compter d’abord sur soi-même

Majoritairement, à hauteur de 51 %, les professions techniciennes et intermédiaires sont d’abord sur une approche individuelle pour défendre leurs droits et leur emploi. Les syndicats arrivent en 2e position (27 %), devant les avocats (10 %), la direction (8 %), les pouvoirs publics (3 %) et les partis politiques (1 %).

L’analyse par taille d’entreprise montre que le défaut d’implantation syndicale favorise l’approche individuelle. Ainsi, dans les petites  entreprises  de  moins de 50 salarié·es, les professions techniciennes et intermédiaires déclarent d’abord compter sur elles-mêmes (62,9 %), les syndicats arrivant en deuxième position (14,2 %). Elles comptent ensuite sur les avocats (11,4 %) puis sur les directions (7,4 %) pour les défendre. Ce déterminant de la présence syndicale se retrouve également dans la fonction publique, où les syndicats sont mieux implantés : 33,5 % des sondés y disent compter sur eux, après l’approche individuelle (48,5 %), avec un pic de confiance dans les syndicats à 37 % dans la fonction publique hospitalière.

par Louis SALLAY

 

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Management, le grand téléchambardement

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La généralisation précipitée du télétravail a impacté le travail dans sa globalité : durées, transmissions, relation objectifs-moyens, pratiques managériales… Pour quel nouveau paysage social ?

PARTICIPANTS :

  • NAYLA GLAISE, DSC CGT ACCENTURE, MEMBRE DU PRÉSIDIUM D’EUROCADRES ET DU BUREAU DE L’UGICT
  • KARIM LAKJAÂ, MEMBRE DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE ;
  • JEAN-LUC MOLINS, SECRÉTAIRE NATIONAL DE L’UGICT-CGT ;
  • PIERRE TARTAKOWSKY, OPTIONS.

Options : Vous avez vécu le basculement dans le télétravail généralisé ; après plusieurs mois de pratiques, comment décririez-vous les princi- pales caractéristiques de cette séquence ?

Karim Lakjaâ : Dans la fonction publique territoriale, nous avons connu quatre temps bien distincts. Dans l’avant-Covid, la pratique du télétravail était très marginale, cantonnée aux seuls cadres, et donc, sans outils ad hoc, sans cadre. Même après que la loi Dussopt du 6 août a facilité le recours au télétravail, les employeurs ne s’en sont pas vraiment emparés. Avec le premier confinement, tout se précipite, se fait dans l’urgence, sans recul ni réflexion des employeurs. Le télétravail devient brusquement une sorte de norme, mais sans cadre formalisé, malgré quelques notes de service très générales, valables quelle que soit la taille de la collectivité. Après le confinement, ces pratiques informelles per- durent, tandis qu’un décret élargit le recours au télétravail. C’est le moment où nous avons saisi les salariés en lançant notre appel « Stop aux nouvelles aliénations » et en diffusant un livret très documenté sur le numérique appliqué aux cadres territoriaux, très apprécié par nos collègues. Aujourd’hui, on a à la fois un cadre juridique, une réalité de masse et des employeurs inquiets d’une possible perte de contrôle sur l’espace d’autonomie qui s’est ouvert, singulièrement dans la masse de la catégorie C. Dans ce contexte, on constate que le télétravail déstabilise les collectifs de travail, les relations inter- individuelles, et précipite un réflexe de défausse des employeurs et des managers stratégiques de leurs propres responsabilités sur les cadres. Cela se traduit par une pluie de prescriptions organisationnelles, issues d’un corpus de notes de service, parfaites dans l’esprit et la rédaction, complétées par des chartes du travail, des guides spécifiques sur le management, accompagnés de formations de cadres intermédiaires et de proxi- mité. Cette production des directions générales s’organise autour de la notion d’un « manage-

ment  performant  et  bienveillant »  Mais  cette « bienveillance » a tout d’un faux nez et signale la plupart du temps une dégradation des rela- tions sociales. C’est que la relation managériale entre le cadre et ses collaborateurs et collaboratrices s’est d’abord largement jouée autour de l’allocation des moyens. Attribuer un ordinateur portable, c’est distribuer du pouvoir, de la recon- naissance ; c’est le cadre qui détermine qui va en bénéficier, qui n’y aura pas accès. Sur quels critères compréhensibles par les salariés, avec quelles quotités et dans quel cadre d’égalité ? Mystère et arbitraire ! Dans mon administration, qui emploie 3 500 agents, la direction de l’écono- mie a généralisé le télétravail en veillant, lorsqu’il n’a pas été possible d’allouer un portable à un collaborateur, à ce qu’un cadre A soit toujours présent à son côté. Mais à la direction de la culture, les cadres qui se réclamaient d’une note de service encourageant le télétravail se sont vu opposer un « pas ici » définitif.

Nayla Glaise : Les entreprises du secteur privé qui pratiquaient déjà le télétravail n’ont pas été prises au dépourvu. Les autres, si. Une enquête Secafi montre à cet égard que lorsqu’il avait été négocié en amont du confinement, le télétravail posait moins de problèmes que là où il n’y avait pas d’accord. Ceci étant dit, même les entreprises rompues de longue date au télétravail ont été confrontées à deux grands problèmes : le matériel et le management. Le premier s’est vite résolu. En revanche, l’encadrement a été profondément déstabilisé par la dispersion du collectif de travail, par sa mise à distance avec les collaborateurs. Les managers ont donc dû improviser, chacun avec ses outils et qualités propres, avec aussi ses limites… C’est comme cela qu’un de mes collè- gues s’est vu reprocher par son N + 1 de ne pas être en permanence devant son écran, d’avoir sur son ordinateur des sites de ventes de voi- tures… Ce type d’intrusion, de méfiance érigée en management est évidemment catastrophique. Il y a heureusement d’autres exemples, mais d’une façon générale, le salarié s’est retrouvé au milieu d’un flou organisationnel : que pouvait-il faire, que devait-il ne pas faire ? Le lieu de travail fournit des repères vis-à-vis de ces questions. En revanche, livré à lui-même, à son domicile, le télétravailleur s’est angoissé à l’idée qu’il devait démontrer qu’il travaillait bien et beaucoup. D’où des explosions horaires et une lourde tendance à la dépression. Une enquête interne de mon entreprise montre d’ailleurs qu’entre le premier et le second confinement, il n’y a pas de grandes variations dans la perception des salariés, malgré leurs différences majeures, notamment au regard de la présence des enfants. La vérité, c’est que les employeurs ne savent pas gérer le télétravail à temps plein, à haute dose, impliquant des mil- liers de salariés dispersés et à qui ils ne font pas toujours confiance. Cela se lit d’ailleurs dans les accords d’entreprises qui sont signés et qui, pour la plupart, se contentent plus moins d’adapter l’existant…

Jean-Luc Molins : Nous avons, dès les premiers jours, réclamé un encadrement du télétravail, dénoncé la menace d’élargissement d’une zone grise, déjà préoccupante, et l’obstination du Medef à refuser tout accord, tout avenant, toute garantie pour les salariés. De fait, on assiste à une généralisation de formes de travail mal- traitantes, qui ont produit des résultats catas- trophiques. Une récente enquête du cabinet Empreinte humaine confirme les conséquences du refus de la partie patronale ; elle révèle que 49 % des salariés se retrouvent en situation de détresse psychologique. Cela donne la mesure des conséquences de l’incapacité et du refus de nouvelles formes de travail adaptées aux besoins collectifs et individuels, et sécurisées légalement. Confronté à une situation exceptionnelle et inédite, le management est resté tel qu’en lui- même : monolithique, fondé sur la surveillance des salariés et sur un reporting qui, loin de faiblir, s’est emballé. Les salariés doivent rendre compte de leur travail et les managers, de celui de leurs équipes. Rien d’étonnant donc à ce que ces derniers soient les plus nombreux à se déclarer en souffrance : ils subissent les débordements horaires, les surcharges dues, entre autres, à l’infobésité, et la frustration de voir ces phéno- mènes obérer leur capacité à organiser le travail, à le répartir et à le réguler en termes d’entraide au sein de leurs équipes. Ce défaut d’anticipation des employeurs quant aux mutations du travail augure mal de l’avenir, car on va de plus en plus être confronté à des organisations mouvantes du travail, à l’échelon national et international.

À travers ces pratiques managériales, qu’est- ce qui se joue dans les modifications en cours, de façon plus générale et plus spécifiquement après l’accord obtenu par le Medef ?

Karim Lakjaâ : En prenant du recul, on a vu nos collègues entrer dans le télétravail un peu comme de jeunes startuppers heureux de se retrouver libres, autonomes – où je veux quand je veux – et éloignés de certaines modalités de domination au travail… Quelque temps plus tard, les mêmes étaient pressés d’en sortir, angoissés par l’atomisation, la mise à l’écart du collectif, la perte du soutien managérial. On a mené une enquête sur 2 177 agents et cadres territoriaux, moitié-moitié. Tous disent avoir augmenté leur temps de travail sous la pression psychologique d’une obligation de résultat, fruit du management stratégique. Ce niveau de management, très hors-sol, a récusé toute idée d’accord sur le télétravail ; au lieu de quoi, il a préconisé des chartes, qui synthétisent tout ce qui peut faire consensus et laissent de côté tout ce qui pose problème. Notre enquête indique que, pour les cadres, le management à distance s’est durci, recentralisé et verticalisé. À 91 % ils estiment que leur travail est de plus en plus complexe, ce qui rend leur isolement de plus en plus lourd. Dans ce contexte, ils ont géré deux épisodes très traumatisants : d’une part, ils ont eu à dire qui pouvait avoir accès au télétravail et qui avait droit à la prime Covid, sachant que bénéficier du premier fermait la possibilité de toucher la seconde… D’autre part, ils ont dû gérer les suites du retrait de congés, soit un vol de trois à dix jours. L’encadrement a dû expliquer à des gens qui s’étaient dépensés sans compter pour assurer leurs missions, qu’ils n’auraient pas de prime et moins de congés, ce qui revenait à dire que le télétravail équivalait, en quelque sorte, à des vacances. Rien de tel pour détruire une relation managériale. L’enquête signale d’ailleurs que, à 80 %, les cadres déclarent avoir subi une perte de lien avec le collectif de travail.

Nayla Glaise : On a basculé, en deux jours, d’une situation à une autre, d’une organisation du travail à une autre. L’entreprise ne l’a pas anticipé et n’a pas su y travailler. Mais les employeurs tentent de transformer leurs limites en stratégie, en saisissant l’opportunité de mettre en cause un droit du travail conçu autour d’une réalité territoriale – le lieu de travail – et non autour d’un salarié porteur de droits, indépendamment de sa situation ou de sa localisation. D’où l’importance, pour les salariés, d’obtenir un accord national interprofessionnel, seule façon d’établir des mesures de prévention valables pour toutes et tous, comme, pour ne prendre que cet exemple, un véritable droit à la déconnexion. Un tel accord permet justement de savoir qui a droit à quoi et ce qu’il ne faut pas faire, sauf à se mettre en danger juridiquement. Même s’il ne garantit pas automatiquement l’effectivité de ce qui y est écrit, il constitue une référence, une norme, un point d’appui pour étayer une revendication. Cela joue contre les grosses dérives, qu’il s’agisse de temps de travail, de surveillance intrusive des salariés ou de  protection des données, protection nécessaire et souvent fragilisée par des mises en réseaux improvisées.

Jean-Luc Molins : Soyons clairs, ce qu’on a qualifié de négociation sur le télétravail n’en a pas été Elle a d’ailleurs simplement accouché d’un simple guide de bonnes pratiques, évidemment « bienveillantes ». Corrélativement, on voit se confirmer un glissement important, vérifié dans certaines jurisprudences, d’une dichotomie croissante entre les prescriptions de l’employeur – les objectifs qu’il fixe – et ses obligations légales concernant la santé de ses subordonnés. Ces dernières tendent à s’estomper dans le contexte du télétravail, pour s’installer sur les épaules du management de proximité. On parle alors d’une « coresponsabilité ». Le manager devient coresponsable de la protection et de la prévention de la santé, amenuisant d’autant les responsabilités de l’employeur, qui découlent du lien de subordination auquel le salarié est astreint. Ce télétravail-là correspond à une nouvelle forme de taylorisation, connectée, qui vise à abolir définitivement toute frontière entre les temps de vie. Travail et hors-travail se trouveraient réunis en un temps unique, légitimant ainsi une disponibilité et, pire encore, une mobilisation permanente.

Dans l’immédiat, que peut-on opposer à cette perspective ?

Karim Lakjaâ : Jusqu’à ces derniers temps, lorsqu’on évoquait le télétravail, la déconnexion, on en parlait à froid, comme de phénomènes un peu lointains, éthérés. C’est devenu un fait social massif et, par voie de conséquence, nos collègues qui l’expérimentent comprennent beaucoup mieux nos revendications, qu’il s’agisse de la présence, de la déconnexion, des délais de réponse… Cela nous permet une mise en débat concrète, articulant qualité des missions, besoins professionnels et protection des salariés. Le Cnfpt, organisme paritaire dont la Cgt assure la vice-présidence, mène ainsi une réflexion positive sur les impacts de la transition numérique sur nos métiers, sur ses enjeux et sur l’anticipation des collectivités. Il en ressort déjà des pistes de réflexion sur le temps de travail, le développement des compétences numériques, l’accès aux formations des agents, la modernisation des pratiques managériales, collaboratives et de confiance. Une terminologie plus intéressante que celle de la « bienveillance »… Il s’agit d’enjeux décisifs pour les agents, comme pour leur protection, leur temps de travail, la mesure de la performance, la déconnexion.

– Jean-Luc Molins : L’accord européen sur le numérique signé par la Confédération européenne des syndicats (Ces) en juin est un levier d’action non négligeable. Il pose la question du droit à la déconnexion, stipule que le télé- travail relève de ce droit. Il pointe également le flou qui s’installe entre vie professionnelle et vie privée, avec à la clé des ambiguïtés quant aux responsabilités des uns et des autres. Or, à l’inverse du projet français d’accord national interprofessionnel sur le télétravail, ce texte est normatif, il doit être transposé dans tous les États et prévoit des prescriptions pour rendre effectif le droit à la déconnexion. Aujourd’hui, le Portugal, l’Espagne et le Danemark ont négocié des accords qui encadrent sérieusement le télé- travail. Alors qu’en France, à rebours de ce qui se pratique en Europe, on est en train d’entériner les ordonnances Macron de 2017 et la loi Travail. Le Medef refuse tout cadre normatif interprofessionnel et renvoie tout à l’entreprise, entreprise où l’on se retrouve confronté à des chartes sans norme minimale, organisant le bon vouloir de l’employeur. C’est une véritable prime à ceux qui vont jouer à fond le dumping social.

Nayla Glaise : D’une certaine façon, en créant des préoccupations identiques pour tous, le Covid a aussi jeté les bases d’une démarche revendicative partagée au plan européen. Or, si l’on a pu avoir un accord interprofessionnel en 2005, c’est grâce à l’accord européen de 2002. Il y a quelque temps, nous avons eu une réunion à la Ces pour déterminer l’agenda du dialogue social en 2021 : tous les États sont demandeurs d’un nouvel accord sur le télétravail, qu’ils lient à une ouverture de négociations. Au niveau européen, contrairement à ce que nous connaissons en France, le dialogue social est pris au sérieux et il existe, de part et d’autre, une volonté d’aboutir. Pas forcément au même résultat, cela va sans dire. Mais ne pas aboutir est ressenti comme un échec collectif. En France, le Medef a refusé durant des mois l’idée même d’une négociation. Il faut donc résolu- ment s’appuyer sur le niveau européen, sur le plan social comme au niveau du Parlement, où des initiatives intéressantes émergent autour de l’encadrement du télétravail et notamment avec un droit à la déconnexion.

 

 

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(Télé)travail : si souffrance il y a

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Au sortir du premier confinement, une étude publiée par Malakoff Humanis révélait que les arrêts de travail pour stress et souffrance au travail dépassaient, pour la première fois, les arrêts causés par les troubles musculo- squelettiques. Qu’en est-il aujourd’hui ? La crise sanitaire en est-elle la seule responsable? Réponse de Marielle Dumortier, autrice de Le Monde du travail est devenu fou (Le Cherche midi, 2020).

point de vue de MARIELLE DUMORTIER MÉDECIN DU TRAVAIL EN CHARGE, DEPUIS 2010, D’UNE CONSULTATION DE SOUFFRANCE AU TRAVAIL À L’HôPITAL INTERCOMMUNAL DE CRÉTEIL.

Si une même étude était faite aujourd’hui, elle n’afficherait pas des résultats plus encoura- geants. Beaucoup de salariés contraints au télé- travail vont mal, très mal même parfois. Soit pour des raisons exogènes – ils se sentent enva- his par des peurs qu’ils ne parviennent plus à garder à distance, comme la peur de la maladie ou de la contagion, qui les mènent à s’enfermer et à refuser catégoriquement tout retour au bureau. Soit, à l’inverse, parce qu’ils ne sup- portent plus l’enfermement du télétravail, tant les conditions dans lesquelles ils l’exercent sont, pratiquement ou psychologiquement, difficile- ment supportables. Au départ, certains salariés s’étaient réjouis du travail à la maison, tout par- ticulièrement ceux vivant loin de leur entreprise ou ne supportant pas la promiscuité de l’open space, tandis que d’autres l’avaient regretté. Le bilan que chacun a pu en tirer est quelque peu différent de celui que l’on pouvait imaginer. Et les managers le savent particulièrement. Eux ont dû apprendre ce que pouvait être l’accompagne- ment à distance de leurs équipes.

Sortir du statut de victime

Mais résumer de cette façon les raisons de l’ex- plosion de la souffrance au travail qui s’affiche aujourd’hui serait aller un peu vite en besogne. À côté des causes conjoncturelles d’un mal qui va grandissant en existent d’autres, plus profondes, qui étaient déjà perceptibles dans l’explosion des troubles musculo-squelettiques (Tms) ces dernières années – on oublie peut-être un peu vite que les Tms mettent aussi en évidence les sources mêmes de ce qui peut faire émerger le stress, à commencer par l’intensification du travail. Bref, la contre-performance actuelle en matière de santé au travail n’a pas commencé avec la pandémie. Elle puise sa source dans une dégradation des conditions de vie quotidienne en entreprise, qui ne cesse de s’aggraver depuis des années, s’alimentant des effets délétères d’organisations exigeant toujours plus avec tou- jours moins de moyens, dénigrant le travail et la capacité de tout un chacun à se l’approprier. Elle se nourrit de l’explosion des collectifs qui ronge les services depuis plusieurs décennies, et de son corollaire : la mise en concurrence grandissante des salariés entre eux.

Le contexte sanitaire particulier dans lequel nous évoluons ne doit pas faire oublier le contexte général dans lequel il se développe. Il le doit d’autant moins que la dégradation de la santé au travail qui se révèle aujourd’hui prospère sur des maux repérés depuis longtemps comme la peur du chômage, l’explosion des collectifs ou la complexité grandissante pour tout un chacun de pouvoir entendre ou faire entendre une parole critique. L’affaiblissement des contre-pouvoirs que sont les organisations syndicales ou les ins- titutions représentatives du personnel (comme les Chsct) a entamé la possibilité d’imposer des débats concrets sur le travail réel, tel qu’il se fait et tel qu’il se vit.

L’installation de tables de ping-pong ou le recru- tement de happyness managers ne résoudra rien. Nul n’attend des entreprises qu’elles organisent des tournois de ping-pong. Ce que l’on peut attendre des employeurs, en revanche, c’est de faire en sorte qu’à la fin de leur journée, les per- sonnels soient en état, eux, et s’ils le veulent, de s’adonner au ping-pong ! Comment s’en sortir ? Comment éviter qu’une nouvelle étude annonce une dégradation encore plus importante de la santé au travail ? En replaçant les choses là où elles doivent l’être : les organisations doivent servir les hommes, et non l’inverse. Et en faisant d’urgence sortir les salariés du statut de vic- times dans lequel, trop souvent, ils s’enfoncent. Plutôt que cela, ils doivent s’attaquer aux raisons de leur mal-être. Comment le travail peut-il détruire ? De quelle manière, par quel geste, quelle procédure ? Ce qu’il faudrait faire pour qu’il en soit autrement ? C’est par cette réflexion que les salariés peuvent envisager, avec leurs représentants, les moyens d’en finir avec les risques psychosociaux. À condition que ceux-ci s’emparent aussi du sujet.

Propos recueillis par Martine HASSOUN

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Protection de l’enfance : notre affaire à tous

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Les violences contre les enfants ont explosé depuis mars. Les combattre, c’est renforcer la prévention, les moyens institutionnels et juridiques, mais aussi mobiliser toute la société pour cette cause

ENTRETIEN AVEC MARIE-PIERRE COLOMBEL, PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION ENFANCE ET PARTAGE.

Il semble difficile de concevoir qu’on puisse piétiner les droits des enfants. Mais d’après les dernières statistiques du ministère de la Santé en date de 2018, 52 000 enfants ont été victimes de violences, de mauvais traitements ou d’abandons et 140 000 ont été exposés à des violences conjugales.

Options : Les périodes de confinement ont exacerbé les violences intrafamiliales, y compris à l’égard des enfants. Quel bilan dresser en cette fin d’année ?

Marie-Pierre Colombel : Lors du pre- mier confinement, les associations et les services de protection de l’enfance ont été débordés. Nous nous sommes mobi- lisés ensemble autour de campagnes de sensibilisation, y compris sur les réseaux sociaux, pour faire connaître le 119, qui certains jours a reçu plus de 1 000 appels à l’aide et signalements. Les numéros verts d’associations comme Enfance et partage (0800-05-12-34) ont également été très sollicités. Même les enfants et les adolescents ont appelé, ce qui s’avère relativement rare en temps

La crise sanitaire a créé un contexte explosif : fermeture des écoles ;  promiscuité 24 heures sur 24 pour les familles vivant parfois dans des espaces trop petits, où adultes et enfants ont dû se partager l’espace et les outils informatiques ; précarisation de certaines familles où un parent a pu perdre son emploi ou une partie de ses revenus. Les tensions et les conflits se sont multipliés, et là où les équilibres sont fragiles, même certains parents qui n’étaient jamais passés à l’acte ont pu basculer.

La situation a été moins grave lors du deuxième confinement, parce que les écoles sont restées ouvertes, que certaines activités extrascolaires ont été maintenues. Quant à caractériser ces violences, on estime notamment que les agressions sexuelles ont augmenté, sans plus de précision, mais on sait déjà que si l’an dernier, tous les cinq jours, un enfant mourait sous les coups de ses parents, le bilan s’aggrave désormais, à un tous les quatre jours…

– L’école est un refuge pour les enfants en souffrance. Est-ce aussi un endroit déterminant pour les actions de prévention, de repérage et de signalement des victimes ?

L’école leur offre en effet un moment de répit, c’est souvent l’unique lieu où ils se sentent en sécurité et sont susceptibles de s’exprimer. L’Éducation nationale et les enseignants sont pour nous des partenaires essentiels, ce sont eux qui font le plus de signalements. Ils sont sensibilisés et ont appris à repérer un enfant qui s’isole, qui a des troubles du comportement, de la concentration. Nos bénévoles sont formés pour intervenir dans les établissements scolaires, y compris auprès des enfants. Nous organisons des ateliers ludiques permettant d’aborder les droits fondamentaux des enfants, le fait que leur corps leur appartient, qu’ils ont droit à un logement, à l’éducation, à la sécurité physique et affective. Pour les classes de Cm1 et de Cm2, il s’agit d’un jeu de société ; pour les collégiens et lycéens, il peut s’agir de jeux de rôles ou de théâtre, de jeux vidéo ; pour les maternelles, de livres ou de marionnettes. Un enfant n’a pas les mots, ne comprend pas forcément, sur le moment, ce qui lui arrive, ou que ce n’est pas normal. Mais il arrive souvent que, lors de ces échanges, la parole des enfants maltraités se libère. Nous intervenons dans tous les milieux où il y a des enfants – crèches, cantines, centres de loisir, milieux sportifs – pour appeler tous les acteurs à la vigilance et les informer de ce qu’ils doivent faire s’ils repèrent un enfant en souffrance, ou sont témoins d’actes graves.

Des enquêtes montrent que les témoins sont souvent réticents à dénoncer une situation de maltraitance envers un Comment l’expliquer ?

L’institut Elabe vient d’enquêter pour nous sur la sensibilisation des Français à la violence envers les enfants. Ils en font leur première cause d’indignation, mais ignorent les outils à leur disposition pour l’empêcher ou la signaler. Par exemple, 62 % d’entre eux ne connaissent pas le numéro 119, et 81 % ne connaissent aucune association engagée pour leur Même si 16 % des personnes interrogées déclarent avoir été elles- mêmes victimes de violences dans leur enfance, elles sont à peine plus nombreuses à penser avoir été, depuis, en contact avec un enfant victime. De plus, six personnes sur dix estiment qu’en cas de soupçons, elles attendraient d’être vraiment sûres d’elles avant de signaler une maltraitance ou une violence à l’égard d’un mineur.

Outre la difficulté à être perçu comme un délateur, il semble qu’au pays des droits de l’homme, il soit difficile de concevoir intellectuellement qu’on puisse piéti- ner ceux des enfants. Pourtant, la réa- lité, d’après les  dernières  statistiques du ministère de la Santé, c’est qu’en 2018, 52 000 enfants ont été victimes de violences, de mauvais traitements ou d’abandons, que 140 000 enfants ont été exposés à des violences conjugales, que 130 000 filles et 35 000 garçons ont été victimes de viols ou de tentatives de viols, en majorité incestueux. Rappelons aussi que le Code pénal condamne la non- assistance à personne en danger, et que la peine encourue est plus lourde quand il s’agit d’un mineur de moins de 15 ans.

Votre association est reconnue d’utilité publique. Sur quelles autres actions concentrez-vous vos moyens ?

Nous accompagnons des familles, des femmes seules, des grands-parents qui prennent en charge leurs petits-enfants, dans une démarche d’aide à la parentalité, y compris dès la grossesse *. Nous travaillons en complémentarité avec les professionnels, qui sont parfois démunis, et avec les autres associations, notamment à des accompagnements psychologiques et Nous œuvrons à faire mieux travailler tous les acteurs – institutionnels, juges des affaires familiales par exemple, travailleurs des Aides sociales à l’enfance gérées par les départements, associatifs – pour dénouer ces situations complexes et graves. Je suis administratrice ad hoc, c’est-à-dire habilitée à représenter un mineur et à me porter partie civile en justice. Nous le faisons, en complément du ministère public, dans les cas où les enfants n’ont personne pour les représenter – quand il n’y a pas de parent pour le faire ou que les parents sont sur le banc des accusés. Nous tenons à apporter un soutien plus humain à la vic- time, à montrer que son sort compte aux yeux de la société. Symboliquement, nous représentons aussi les victimes prescrites, les morts, c’est important. Par exemple, dans un procès récent contre un homme qui détenait de nombreux fichiers pédopornographiques, où on n’a pas pu identifier les enfants, on donne du poids à leur existence et à leurs souffrances.

L’action de l’État pour la protection de l’enfance vous semble-t-elle à la hauteur des besoins ?

La cause des enfants a beaucoup progressé ces dernières années. Dans les nombreuses instances où nous siégeons, nous sommes écoutés. Les mesures du

« Pacte pour l’enfance » lancé fin 2019 et celles annoncées fin novembre vont dans le bon sens. Notamment les moyens supplémentaires  pour  la   prévention et l’écoute, le contrôle des adultes qui travaillent avec des enfants, le fichage national des personnes  condamnées pour pédopornographie. Nous voudrions aller plus loin, par exemple, dans ce der- nier cas, en instaurant des condamnations plus lourdes, y compris pour ceux qui consultent les images pédopornographiques. Concernant les violences sexuelles, nous voudrions faire entendre raison au législateur sur la question de l’âge du consentement. La justice estime qu’un acte sexuel sur un  mineur  de plus de 15 ans est moins grave que sur un enfant plus jeune. Récemment, des relations sexuelles imposées à une pré-adolescente de 11 ans ont été requalifiées de « viol » à « agression sexuelle » ! Pour qu’il y ait viol il faut prouver la menace, la surprise, la contrainte et la violence. Mais comment un enfant peut-il les verbaliser et les prouver ? Qui peut prétendre que si l’enfant ne se sent pas contraint, c’est qu’il consent ?

Avec de nombreuses associations, nous défendons également l’idée qu’il y a des parents toxiques pour leurs enfants, et que le lien parent-enfant ne doit pas à tout prix être une priorité, d’autant que certains enfants signifient très claire- ment que rencontrer leurs parents bio- logiques ne les aide pas à grandir en toute sérénité. L’autorité parentale reste également parfois problématique, quand il faut demander à un père, emprisonné pour homicide sur la mère, son autorisation pour  emmener  un  enfant  chez le dentiste… Il y a des avancées sur ces questions. Dans mon département, le Rhône, quand ils savent que les rencontres parent-enfant peuvent s’avérer destructrices pour l’enfant, les travail- leurs sociaux essaient de les espacer. Quand c’est possible, ils demandent et obtiennent une délégation  de  l’autorité parentale. La parole des enfants est de mieux en mieux prise en compte, le droit des enfants progresse, mais c’est un combat quotidien.

Propos recueillis par Valérie Géraud

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Éditorial de Sophie Binet – Industrie : alerte sur la recherche et l’ingénierie

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Sanofi, Renault, Danone, Nokia, General Electric, Total, Ibm, Airbus, Akka, Alten, Cgg, Renault Trucks… La liste des entreprises qui taillent dans leurs effectifs d’ingénierie, de recherche et d’encadrement est longue. À tel point que l’Associa- tion pour l’emploi des cadres a estimé que les embauches de cadres chuteraient de 40 % en 2020, un plongeon inédit.

Pourtant, il y a peine six mois, la France découvrait que, totalement dépendante de la Chine, elle n’était plus capable de fabriquer des produits élémentaires : masques, principes actifs de médicaments… Las. À peine gagnée la baisse massive de leurs impôts de production, les multinationales transforment les relocalisations promises en diversification de leurs approvisionnements et licencient pour restaurer leurs marges. La quasi-totalité de ces groupes rémunèrent généreusement leurs actionnaires, y compris en 2020.

En matière d’industrie, la France touche désormais à l’os. Après avoir sacrifié nos capacités de production au prix de graves conséquences sociales et environnementales, c’est désormais notre faculté d’innovation qui plie bagage. Une faute grave, à l’heure où le numérique permet des innovations de rupture. Ainsi, la France met en place la 5G… tout en acceptant le démantèlement de Nokia, le seul opérateur développant la 5G en France.

C’est une impasse dangereuse. Observons Sanofi : notre champion pharmaceutique, gavé de crédit impôt recherche, a-t-il su produire un vaccin contre le Covid ? Non seulement il a raté le coche de la technologie de rupture, l’Arn, pourtant développé par un de ses anciens chercheurs, mais il vient de reprendre de zéro le développement de son vaccin du fait d’une erreur de dosage ! C’est le résultat de la financiarisation et du courttermisme : Sanofi a divisé par deux ses effectifs de chercheurs en dix ans, tout en distribuant chaque année 4 à 5 milliards de dividendes. Le plus grave ? Le gouvernement qui continue, avec son plan de relance, à arroser les grands groupes d’aides publiques sans aucune contrepartie, tout en asphyxiant la recherche publique.

La crise offre pourtant l’occasion rêvée de changer de paradigme : en met- tant en place une stratégie de relocalisation par filière, en y conditionnant les aides publiques ; en investissant dans l’enseignement supérieur et la recherche ; en transformant les aides publiques en prises de participation dans les entreprises stratégiques pour restaurer les capacités d’intervention de l’État… Contrairement aux décideurs, les cadres et professions intermédiaires sont lucides et aspirent à travailler, à produire et à vivre autrement. Après la sidération de 2020, place à l’action en 2021 pour imposer un changement de modèle ! Meilleurs vœux à toutes et tous !

Sophie Binet – COSECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE L’UGICT-CGT

 

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À propos – décembre 2020

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Faites ce que je vous dis, pas ce que je… L’expression « se prendre les pieds dans le tapis » signifie que « les choses ne se déroulent pas tou- jours comme on le souhaiterait ». Pour dépas- ser le caractère trop général de cette définition, le dictionnaire en précise le sens, à l’aide d’un […]

Faites ce que je vous dis, pas ce que je…

L’expression « se prendre les pieds dans le tapis » signifie que « les choses ne se déroulent pas tou- jours comme on le souhaiterait ». Pour dépas- ser le caractère trop général de cette définition, le dictionnaire en précise le sens, à l’aide d’un développement laborieux mais explicite : « elle s’applique notamment lorsqu’on se trompe dans la réalisation d’une tâche compliquée ou que l’on fait face à des difficultés pour accomplir quelque chose». À l’aune de cette précision, Emmanuel Macron est champion, toutes catégories, des pieds pris dans le tapis. D’ailleurs ce n’est plus un tapis ; c’est un foutoir, une géographie dispersée façon puzzle, un amas hétéroclite de bosses, de plis, de vagues roulantes et de sables mouvants. La fin de l’année 2020 confirme à cet égard, et avec éclat, que (en) marche n’est pas sens. À propos… Bonne année 2021 à toutes et à tous. Cela devait être dit, c’est fait, revenons à nos… Macron. Sa contamination au Covid aura confirmé que l’homme s’autorise à faire ce qu’il interdit et déconseille aux autres, avec toute l’autorité du premier magistrat du pays : dîners successifs prolongés après le couvre-feu imposé au pays et nombre de couverts supérieur à ce maximum de six fixé… aux gens du commun.

L’anecdote en dit long sur l’éthique aristocra- tique en vogue dans les salons élyséens et sur la méthode avec laquelle on mène les affaires publiques. Le « faites ce que je vous dis, pas ce que je fais » se décline en effet en engagements pouvant se résumer à un solennel « faisons-nous confiance, j’improviserai les suites ». Le « je » présidentiel n’a d’ailleurs jamais été aussi central dans la vie politique française, qui en a pourtant connu d’autres. Mais cet affichage n’est que pos- ture et fragilité. Ces derniers mois, il s’est fracassé spectaculairement sur les institutions, l’adver-

sité, bref, sur le réel, qui déteste qu’on le snobe. De Beyrouth à Beauvau, de la loi sur la sécurité globale à celle sur les principes républicains, Emmanuel Macron a adopté la même mise en scène : promesse, mise en débat et, finalement, mise de côté. Cela commence par un sourire écla- tant de compréhension inclusive et chute sur les gros yeux faits aux galopins qui rigolent de le voir s’embrouiller les pieds dans sa trame tapissière.

D’accord ? Pas d’accord ? Alors attendons un référendum

La convention citoyenne sur le climat, par exemple. L’idée de départ – demander aux citoyens s’ils n’auraient pas des idées sur la ques- tion – est excellente. Le président s’y engage, tranquille et prêt à jurer, mordicus, qu’ils n’en ont aucune. La chose se complique donc rapide- ment, car ils en ont. Or, on leur a promis, main sur le cœur qu’elles auront, sans filtre, force de loi. Problème : en marche ou à l’arrêt – ce qui ici revient au même –, aucun député n’aime qu’on lui détricote le tapis légal sous ses pieds. Aux prises avec des gens qui, d’un côté comme de l’autre, sont très en colère, le président sort un joker : un référendum pour inscrire la question climatique dans l’article 1 de la Constitution. L’opération, aux relents lourdement manipulateurs, renvoie tout à – beaucoup – plus tard, n’offre aucune certitude de pouvoir se faire et, en admettant qu’elle parvienne à ses fins, ne ralen- tira pas d’un degré le réchauffement climatique. Ravi de la manœuvre, Emmanuel Macron la res- sert, telle quelle, à la police. On sait, depuis que l’Élysée l’a répété sur tous les tons, que les vio-ences policières sont une légende urbaine. Il a

d’ailleurs préparé une loi interdisant de la fil- mer. Mais voilà qu’une vidéo hardcore atteste du mythe ; le président rétropédale et invente une vague commission chargée de modifier son projet de loi, pour le coup trop sulfureux. À nouveau, tempête à l’Assemblée, tsunami au Sénat, vagues de rage dans l’opinion publique. Pris de tournis, le président déclare alors d’une voix chaleureuse et sincère devant le jeune public de Brut, que les jusqu’alors inexistantes violences policières sont inadmissibles. Se fait-il quelques copains dans la jeunesse ? Peut-être… En revanche, son ministre s’étrangle de rage tandis que ses policiers menacent le pays de leur fatale clé d’immobilisa- tion. Nouveau claquement de doigts, chapeau : faisons un grand Beauvau de la police – tous ensemble, tous ensemble – pour débattre des problèmes ! Débattre ? Échaudés sans doute, et de surcroît peu rompus à l’exercice, les policiers déclinent. Sèchement. La salle se vide, les illusions s’évanouissent, reste l’illusionniste.

L’impensé technocratique bégaye à la barre

Mais le spectacle continue. C’est d’ailleurs le grand paradoxe et l’un des grands dangers de la période. Dans un régime dont la Constitution garantit de jure des mécanismes institutionnels qui struc- turent des mécanismes de décision démocratique, l’exercice réel du pouvoir se déploie dans le déni hautain des corps intermédiaires. Sans épargner aucunement ceux dont le soutien lui est assuré. Le mépris du débat institutionnalisé, de celles et ceux qui le portent, des organisations et associations qui l’incarnent a pu, un temps, relever d’une stratégie, d’un calcul. Aujourd’hui, c’est devenu une culture, un réflexe, la victoire d’un impensé technocratique sur les complexités démocratiques. Lesquelles, mises à la porte, se font un malin plaisir à revenir par les fenêtres, envahissant ainsi l’espace du débat public de leur légitimité refoulée, voire d’un magma de simples refus. C’est littéralement compulsif : on sème la défiance face à une pandémie, on provoque les hurlements de ceux qu’on tente de bâillonner, on provoque le désordre en uniforme en lieu et place d’une urgente civilité.

Pris dans ce bégaiement à la Gribouille, le président ramène de plus en plus toute chose à sa personne, fait flèche de tout bois et s’agrippe à des projets de loi liberticides. Comme cela passe mal, il s’essaie à la diversion ; fait mine de découvrir l’inceste et… crée une commission ; rajoute à ses « principes républicains »… l’interdiction des thérapies de conversion, soulevant au passage l’ire de l’Inter-Lgbt, légitimement inquiète de ce micmac hâtivement bricolé.

Nous écrivons ces lignes avant que 2021 ne commence, sans avoir encore connaissance des traditionnels vœux présidentiels. Soyons certains que 2021 apportera son lot de sursauts. Les vœux d’Emmanuel Macron, eux, seront sans surprise.

Pierre TARTAKOWSKY

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Syndicalisme – Gestion du personnel vs/ algorithmes

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 662

La technique est ce que l’on en fait. Cette conviction, Uni Global Union Cadres, organisation syndicale  internationale  regroupant  quelque 20 millions de travailleurs des services à travers le monde, l’affiche sans complexe. C’est sur cette base qu’elle a décidé, en septembre, de lancer une campagne pour l’ouverture de négociation sur l’utilisation des algorithmes par les […]

La technique est ce que l’on en fait. Cette conviction, Uni Global Union Cadres, organisation syndicale  internationale  regroupant  quelque 20 millions de travailleurs des services à travers le monde, l’affiche sans complexe. C’est sur cette base qu’elle a décidé, en septembre, de lancer une campagne pour l’ouverture de négociation sur l’utilisation des algorithmes par les services de gestion des ressources humaines en entreprise. Des discussions qui, sur fond d’explosion du télétravail, sont plus nécessaires que jamais, a assuré à cette occasion Christy Hoffman, sa secrétaire générale. Pour aider ses organisations à défendre leurs mandants, qu’elles interviennent dans le champ du commerce, de la finance, des arts, de l’assurance ou des télécommunications, Uni Global Union Cadres a produit un guide, un mémo proposant une liste des revendications qui pourraient être portées dans les négociations à venir (La Gestion algorithmique, guide pour les syndicats, 26 pages, à retrouver sur www.uniglobalunion.org)

On y trouve l’indispensable information, transparence et contrôle par les salariés sur les données collectées et la demande très précise que tous les avantages de la gestion algorithmique soient partagés ; autrement dit, que les gains de productivité, la flexibilité et l’amélioration des connaissances qu’elle assure soient partagés entre les salariés et les entreprises « dans des conditions équitables ». Mais proposition est faite surtout aux représentants du personnel, d’interroger en amont les employeurs sur les raisons de l’implantation de ces nouveaux outils.

Les employeurs doivent réfléchir attentivement à leurs choix, défend Uni Global Union. Ils doivent le faire « pour savoir si et pourquoi ces outils sont réellement nécessaires ». Et « si la réponse est simplement “parce que nous en avons la possibilité”, le projet ne doit pas être poursuivi », conseille sans ambages l’organisation internationale. « Les outils ne doivent jamais être adoptés simplement parce qu’ils sont à la mode ou parce que des concurrents le font […]. Toute collecte de données ou surveillance de la main- d’œuvre doit avoir un objectif clairement justifiable », précise-t-elle en mentionnant encore ceci, comme pour s’assurer de la chose : s’ils doivent s’imposer, les algorithmes retenus « doivent être régulièrement vérifiés par des tiers indépendants, choisis conjointement par les employeurs et les syndicats ». Plus précisément encore, « les résultats de ces vérifications devraient être mis à la disposition de toute personne concernée par les décisions algorithmiques ».

Martine HASSOUN

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Télémanagement si loin, si proche – Options 662

Article mis en ligne le 24 décembre 2020,

Repères professionnels, brouillage d’ensemble Traditionnellement, la culture des grosses entreprises repose sur trois éléments déstabilisés par le travail à distance : la verticalité, le reporting, le contrôle. À Edf, le passage au télétravail intégral, lors du premier confinement, a été vécu comme un basculement, source de déséquilibres et de perturbations par l’ensemble des salariés.

Repères professionnels, brouillage d’ensemble
Traditionnellement, la culture des grosses entreprises repose sur trois éléments déstabilisés par le travail à distance : la verticalité, le reporting, le contrôle. À Edf, le passage au télétravail intégral, lors du premier confinement, a été vécu comme un basculement, source de déséquilibres et de perturbations par l’ensemble des salariés.

(suite…)

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Covid-19 – Les obligations de sécurité de l’employeur et des salariés

Article mis en ligne le 30 novembre 2020, publié dans Options n° 661

Dans le contexte sanitaire extraordinaire actuel,
les obligations de sécurité de l’employeur et
des salariés se complètent pour assurer la santé de tous (salariés, clients, usagers, etc.) sur les lieux de travail.
Toutes les entreprises sont concernées, quels que soient leurs statuts juridiques (sociétés
commerciales, associations, syndicats, etc.), leurs activités et leurs effectifs.

par Michel CHAPUIS

Le Covid-19 (COronaVirus Infectious Disease 2019), maladie provoquée par l’infection au coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (Sars-CoV-2), apparue en 2019, exige la mobilisation de tous les acteurs de l’entreprise– employeurs, salariés – dans la prévention de la contamination pour assurer la sauvegarde de la santé de chacun.

L’OBLIGATION LÉGALE DE SÉCURITÉ DE L’EMPLOYEUR

« L’employeur est obligé d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail » (art. 5 § 1, directive du 12 juin 1989). Au regard de ce principe, l’employeur prend les mesures nécessaires pour « assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travail- leurs » (Code du travail, art. L. 4121-1). Ces mesures comprennent :

  • des actions de prévention des risques professionnels ;
  • des actions d’information et de formation ;
  • la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. L’employeur met en œuvre ces mesures sur le fondement de principes généraux de prévention (Code du travail, art. L. 4121-2) :

  • éviter les risques ;
  • évaluer les risques qui ne peuvent être évités – le Document unique d’évaluation doit être mis à jour au regard des risques liés à la Covid-19 ;
  • combattre les risques à la source ;

adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des

équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé, et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

  • tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
  • remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
  • planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants ;
  • prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
  • donner les instructions appropriées aux

Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que l’employeur est tenu de prendre et doit pouvoir justifier avoir pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Cette obligation de sécurité impose à l’employeur de revoir, au vu des risques et des modes de contamination  induits par le virus du Covid-19, l’organisation du travail, la gestion des flux, les conditions de travail et les mesures  de  protection des salariés. « L’appréciation du respect de cette obligation par l’employeur s’effectue nécessairement, en vertu notamment du dernier alinéa de l’article L. 4121-1, en tenant compte de l’état des connaissances scientifiques en la matière, lesquelles sont publiquement  diffusées, notamment  par le Haut conseil de la santé publique » (Conseil  d’État,  ordonnance  du  juge des référés, 19 octobre 2020, syndicat Alliance Plasturgie et Compagnie du Futur Plastalliance)

Pour accompagner les employeurs et les salariés dans la mise en œuvre des mesures de protection contre le Covid-19, le ministère du Travail a établi un protocole national (voir en bibliographie). Ce protocole relève du champ d’application des articles

  1. 4121-1 et suivants du Code du travail, dont il constitue une « déclinaison opérationnelle». « Le protocole […] constitue un ensemble de recommandations pour la déclinaison matérielle de l’obligation de sécurité de l’employeur dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 en rappelant les obligations qui existent en vertu du Code du travail. […] En l’état des connaissances scientifiques, le port du masque dans les espaces clos est justifié et constitue, en combinaison avec des mesures d’hygiène et de distanciation physique et une bonne aération/ventilation des locaux, la mesure pertinente pour assurer efficacement la sécurité des personnes » (Conseil d’État 19 octobre 2020, préc.).

Au regard de ses obligations, en cas de non-respect, un employeur engage sa responsabilité :

  • sur le plan pénal, pour violation des règles de sécurité du Code du travail, le cas échéant après mise en demeure de la Direccte sur rapport de l’inspecteur du travail, voire au regard du Code pénal, notamment pour mise en danger d’autrui, ou violation d’une obligation de prudence ;
  • sur le plan civil, en matière de droit du travail pour les préjudices causés, ou de droit de la Sécurité sociale en cas de maladie professionnelle (décret n° 2020- 1131 du 14 septembre 2020), pour faute L’employeur est responsable des salariés qui causent des préjudices à d’autres salariés : il doit intervenir pour faire cesser les atteintes à la santé de salarié et, le cas échéant, il doit prendre des mesures disciplinaires à l’encontre des salariés auteurs de préjudices (ne respectant pas les règles de santé et de sécurité, comme le port du masque.

L’OBLIGATION CONTRACTUELLE DE SÉCURITÉ DU SALARIÉ

« Il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail » (Code du travail, art. L. 4122-1). Prendre soin de la santé des autres personnes et « aider autrui» à sauvegarder sa santé est une manifestation de « fraternité » (principe à valeur constitutionnelle, décision n° 2018-717/718 du 6 juillet 2018).

Cependant, face à la pandémie, des com- portements de quelques salariés portent atteinte, directement ou indirectement, à la santé de personnes (collègues, salariés d’autres entreprises, clients, usagers…) : refus par le salarié de porter correctement le masque, refus d’appliquer la distance physique, voir venue sur les lieux de travail en sachant être « cas contact » ou pire « positif » au Covid-19.

Souvent ces (rares) salariés récalcitrants prétendent s’exonérer des règles sanitaires communes au nom de leur liberté individuelle, alors que les textes (proto- cole, décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020) « en imposant le port systématique du masque » ne portent pas « une atteinte excessive à la liberté personnelle » (Conseil d’État, 19 octobre 2020, préc.).

Ainsi, comme le fait valoir Laurent Bibard, professeur à l’Essec, « se comporter “libre- ment” en situation objectivement grave sur le plan sanitaire, peut avoir comme conséquence la contamination générale de populations à risque. La revendication de liberté individuelle est dans certaines cir- constances inséparable d’une négligence absurde du sens des responsabilités ». Ces salariés, en oubliant que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), ignorent « le bien commun».

Au regard de ses obligations, en cas de non-respect des règles de santé et de sécurité, le salarié engage sa responsabilité :

  • sur le plan disciplinaire (contrat de travail) : l’employeur, après avoir mis en œuvre les actions d’information, peut prendre des sanctions disciplinaires, allant, suivant les cas, de l’avertisse- ment jusqu’au licenciement (depuis 28 février 2002) ;
  • sur le plan pénal, dans les cas les plus graves, le salarié peut faire l’objet d’une poursuite pénale (devant le tribunal correctionnel), notamment pour « mise en danger d’autrui » (au regard des risques de contamination par le coronavirus) ;
  • sur le plan civil, la responsabilité personnelle du salarié à l’égard de tiers (salariés de l’entreprise ou d’autres entre- prises…) peut également être engagée quand il a commis des actes (ou des omissions) dégradant leur santé (depuis Soc. 21 juin 2006 ; compétence du conseil de prud’hommes, condamnation du salarié à verser des dommages-intérêts aux salariés concernés).

Pour rappel, le salarié est titulaire de droits :

  • le droit à la gratuité des équipements de protection individuelle, en bon état, en nombre suffisant pour chaque salarié, adaptés et pertinents au regard des risques et des conditions de travail (masques, ) ;
  • le droit à la formation à la sécurité ;
  • le droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation du travail ;
  • le droit de retrait (voir Options n° 656, avril 2020).

POUR RAPPEL, LES ATTRIBUTIONS ET MOYENS DES ÉLUS DU PERSONNEL ET DES ORGANISATIONS SYNDICALES

Les élus du personnel,  dans  le  cadre du comité social et économique (Cse), peuvent déclencher deux droits d’alerte sur le terrain de la santé :

  • le droit d’alerte « droits des personnes » (Code du travail, L. 2312-59) ;
  • le droit d’alerte  pour  « danger  grave et Imminent »  (Code  du  travail, L. 2312-60).

L’organisation syndicale et/ou le comité social et économique peut saisir le juge des référés au tribunal judiciaire (ex-Tgi) pour faire ordonner la suspension des activités d’une entreprise en cas de non- respect des règles de santé et de sécurité au regard du risque de contamination par le Covid-19 (tribunal judiciaire de Paris, Réf. 9 avril 2020, La Poste ; tribunal judiciaire de Lille, Réf. 24 avril 2020, Carrefour; tribunal judiciaire du Havre, Réf. 7 mai 2020, Sas Renault).

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Fonction publique – L’indemnité de fin de contrat

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 661

Qui dit contractualisation dit précarité et, pour
la compenser, indemnité de fin de contrat.

par Edoardo MARQUÈS

Dans le cadre de l’extension du recours au contrat décidée par la loi n° 2019-828 du 6 août 2019, dite de transformation de la fonction publique, son article 23 crée une indemnité de fin de contrat per- mettant de compenser  la  précarité  de la situation de certains agents contractuels de droit public. Cette disposition s’inspire de l’indemnité de fin de contrat prévue par l’article L. 1243 8 du Code du travail au profit de certains salariés du secteur privé. La disposition adoptée pré- voit de limiter le droit à cette indemnité aux contrats conclus pour pourvoir des emplois permanents ou non permanents d’une durée inférieure ou égale à un an et lorsque la rémunération brute globale prévue dans ces contrats est inférieure à un plafond fixé par décret.

Sont exclus de ce dispositif : les contrats conclus pour faire face à un besoin saisonnier d’activité ainsi que les contrats de projet prévus par la présente loi. Ce champ couvrirait donc plus de 70 % des contrats à durée déterminée dans la fonction publique. Cette mesure s’appliquera aux contrats conclus à compter du 1er janvier 2021. Ce dispositif ne s’applique pas lorsque, au terme du contrat ou de cette durée, les agents sont nommés stagiaires ou élèves consécutivement à la réussite à un concours, ou bénéficient du renouvellement de leur contrat ou de la conclusion d’un nouveau contrat, à durée déterminée ou indéterminée, au sein de chaque versant de la fonction publique.

Pour mettre en œuvre cette disposition, un décret du 23 octobre 2020 1 fixe les modalités d’attribution de l’indemnité de fin de contrat dans la fonction publique. Il crée ainsi une disposition au sein de chaque décret relatif aux agents contractuels de chaque versant de la fonction publique 2.

Conditions de versement

Ces dispositions prévoient que l’indemnité de fin de contrat précitée n’est due que lorsque le contrat est exécuté jusqu’à son terme. Elle n’est pas due si l’agent refuse la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire auprès du même employeur, assorti d’une rémunération au moins équivalente.

 

Montant du versement

Le montant de rémunération brute glo- bale au-delà duquel  cette indemnité n’est pas attribuée est fixé à deux fois le montant brut du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) applicable sur le territoire d’affectation et déterminé dans les conditions prévues à l’article L. 3231-7 du Code du travail. À titre indicatif, la valeur du Smic applicable au 1er janvier 2021 n’étant pas, à ce jour connue, la valeur du Smic brut mensuel, en métropole, est, depuis le 1er janvier 2020, fixée à 1 539,42 euros ; ce qui représente un plafond de 3 078,84 €.

Le montant de l’indemnité de fin de contrat est fixé à 10 % de la rémunération brute globale perçue par l’agent au titre de son contrat et, le cas échéant, de ses renouvellements.

Elle doit être versée, au plus tard, un mois après le terme du contrat.

  1. Décret n° 2020-1296 du 23 octobre 2020 relatif à l’indemnité de fin de contrat dans la fonction publique, publié au Journal officiel du 25 octobre 2020 ;
  1. Article 45-1-1 du décret n° 86-63 du 17 janvier 1986, relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’État ; article 39-1-1 du décret n° 88-145 du 15 février 1988, pris pour l’application de l’article 136 de la loi du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale ; article 41-1-1 du décret n° 91-155 du 6 février 1991, relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels des établissements mentionnés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

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Déconnexion – Vers une directive européenne ?

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 661

SUR FOND DE TÉLÉTRAVAIL MASSIF DANS LE CADRE DE LA CRISE SANITAIRE, C’EST LE VŒU FORMULÉ
PAR LA COMMISSION DE L’EMPLOI DU PARLEMENT EUROPÉEN.

Avec la généralisation du télétravail dans le cadre de la crise sanitaire, le droit à la déconnexion s’est à nouveau imposé dans les débats. L’enquête de l’Ugict-Cgt « Le travail sous épidémie », menée lors du premier confinement auprès de 35 000 salariés, en a constaté le manque d’effectivité : 80 % des télétravailleurs y affirmaient ne pas disposer de ce droit, malgré la loi. En 2017 déjà, un rapport conjoint de l’Organisation internationale du travail (Oit) et de l’Agence européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) en pointait la nécessité, notamment pour prévenir les risques psychosociaux et assurer un meilleur équilibre entre vies privée et professionnelle. Cette nécessité est aujourd’hui portée par la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen, après le vote d’un vœu demandant à la Commission européenne de légiférer sur cette question.

Ce vœu s’appuie sur un rapport rédigé en juillet par le député européen Alex Saliba. Il le rappelle : « Une connectivité permanente, combinée à une exigence croissante de pouvoir joindre les travailleurs à tout moment, peut avoir une incidence négative sur les droits fondamentaux des travailleurs ainsi que sur leur santé physique et mentale. » Si cette connectivité permanente était un problème avant la pandémie, elle l’est d’autant plus que près d’un tiers des salariés européens se sont retrouvés en télétravail intégral au printemps, a montré une étude d’Euro-found 1, contre 5 % avant la crise sanitaire : un mode d’organisation du travail désormais appelé à s’étendre et à durer. Dans ce contexte, le rapport demande « à la Commission d’adopter une directive de l’Union pour garantir que les travailleurs puissent exercer leur droit de déconnexion et réglementer l’utilisation des outils numériques existants et nouveaux à des fins professionnelles ».

Pour l’heure en effet, seules la Belgique, l’Espagne, l’Italie et la France disposent d’une législation spécifique. Une pro- position avait en outre été déposée au Portugal avant d’être finalement rejetée à l’été 2019. En France, l’Ugict-Cgt, à l’initiative d’une campagne pour le droit à la déconnexion dès 2014 2, avait obtenu son introduction dans le Code du travail deux ans plus tard. Mais s’il renvoyait à la négociation d’entreprise le soin d’en définir le contenu, il ouvrait aussi la possibilité pour l’employeur de le prévoir dans une charte unilatérale. « Pour les télétravailleurs particulièrement concernés par l’exercice de droit, le développement du télétravail en mode dégradé, sans encadrement collectif, s’est [ainsi] traduit par l’absence totale de droit à la déconnexion », indique l’Ugict- Cgt dans un communiqué.

Dans son rapport, Alex Saliba fait des recommandations sur le contenu de la proposition. Il définit son objet et son champ d’application, le contenu du droit à la déconnexion comme les conditions de sa mise en œuvre, envisage des mesures de protection « contre les traitements défavorables » ainsi que des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives »… Si l’Ugict-Cgt continue de porter l’exigence

de ce droit dans les négociations interprofessionnelles en cours sur le télétravail, elle fait deux demandes au gouverne- ment : le soutien du vœu du Parlement européen demandant à la Commission de présenter une directive ; la réalisation d’un bilan sur la mise en place du droit à la déconnexion en France, « pour le renforcer et le rendre effectif ».

Christine LABBE

  1. Eurofound, « Living, Working et Covid-19 », septembre
  2. À retrouver sur Eurofound.europa.eu
  3. En savoir plus sur le site dédié : info

 

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Restructurations – Derrière la novlangue

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 661

C’est par une unité syndicale hors
du commun
chez Renault que
la Cgc, la Cfdt, la Cgt
et Force ouvrière se sont opposées au projet
du constructeur d’engager un plan d’économie de plus de 2 milliards d’euros.
Les raisons de la colère et le plan de travail
de la Cgt.

POINT DE VUE DE  JEAN-FRANÇOIS PIBOULEAU, CADRE, DÉLÉGUÉ SYNDICAL CENTRAL CGT DE RENAULT.

Le plan d’économie auquel nous sommes aujourd’hui confrontés chez Renault n’a pas d’équivalent. Jamais, jusqu’alors, l’entreprise n’avait fermé de sites. Jamais non plus ses plus hautes instances n’avaient autant malmené le personnel et ses représentants. Bien sûr, nous disposons de quelques éléments  pour  envisager l’avenir, à commencer par la volonté de la direction de supprimer quelque 15 000 postes de travail dans le monde, dont 4 600 en France, ainsi que ses intentions de faire 2 milliards d’euros d’économies. Ça, nous le savons depuis le mois de mai. Mais nous ne disposons d’aucun élément quant à la stratégie qui guide ce plan. Et Luca de Meo, le nouveau directeur général de Renault Sa, l’assume, puisqu’il a déclaré très clairement qu’il ne justifierait son projet qu’en janvier 2021. C’est ce mépris sans égal dans l’entreprise pour les instances représentatives du personnel qui explique que, ensemble, la Cgc, la Cfdt, la Cgt et Force ouvrière se sont déclarées, lors du Ccse du 19 septembre, opposées au plan présenté. Nous n’avions pas connu une telle unité depuis le début des années 2000 et la colère suscitée par l’externalisation des services informatiques.

La stratégie à laquelle nous faisons face n’est pas brouillonne. Bien au contraire, elle semble parfaitement réfléchie. D’abord, on use de la confusion engendrée par la délivrance d’informations au compte-gouttes pour amoindrir la possibilité de négocier, si ce n’est de contester tel ou tel projet. Ensuite, on mobilise les outils langagiers mis à disposition par les services de communication pour amoindrir la capacité de tout un chacun à maîtriser le discours. Ainsi, la disparition du site de Choisy-le-Roi et l’arrêt de la production à l’usine de Flins deviennent un simple « transfert» et le déménagement des activités de l’usine de Maubeuge vers l’usine de Douai le signe avant- coureur de l’avènement d’un « pôle d’excellence ».

Plus symptomatique encore, un plan de restructuration se transforme en une « résurrection» préfigurant une « renaulution» ainsi que l’a annoncé sans sourire Luca de Meo lors du Ccse de septembre. Enfin, on saucissonne les négociations pour éviter les solidarités entre sites. La direction nous l’a annoncé : les discussions sur le plan de réduction des coûts se mèneront fonction par fonction, projet par projet, au niveau de Renault Sa et seulement de Renault Sa, d’un côté; puis de chaque filière de l’autre.

Du jamais-vu. Cette manière de faire n’écarte pas seulement toute vue d’ensemble. Elle empêche que se tissent des liens entre établissements pour éviter le pire… Il faut y ajouter ces réu- nions à destination des personnels, organisées site par site par les directions, pour délivrer des éléments de langage qui laissent supposer que l’acceptation vaut mieux qu’une contestation qui risquerait de condamner le poste de chacun. Nous sommes confrontés aujourd’hui chez Renault à un défi sans pareil. Que peut la Cgt face à cela ? Chaque fois que nous nous sommes bat- tus pour des revendications accessibles, proches des salariés, nous avons été capables de gagner : ainsi, lors de la grève des magasiniers de l’usine de Cléon, en octobre, pour leur requalification et la titularisation des intérimaires. La Cgt a travaillé sur un projet industriel. Nous avons des propositions concrètes, argumentées et circonstanciées, pour donner un autre avenir à Renault. Il faut en débattre avec les personnels. Il faut qu’ils nous aident, à partir des connaissances qu’ils ont de leur travail, à lui donner vie. La direction veut nous faire croire que nous sommes interchangeables, que nos métiers sont sans importance. Nous devons imposer une autre réalité en redonnant sens au travail et aux mots qui en relèvent. La direction cherche par tous les moyens à brouiller les pistes en tentant de faire perdre leurs repères aux salariés. Nous, nous devons les restaurer. Décrypter ses intentions pour faire des contre-propositions et ce, en acceptant d’entendre ce que les salariés ont à dire. Nous avancerons avec eux. Il faut construire avec eux. C’est ainsi que nous pourrons donner un avenir à Renault et à ses emplois.

Propos recueillis par Martine HASSOUN

Lire aussi :

https://journaloptions.fr/2020/11/aeronautique-trou-dair-ou-crise-structurelle/

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Aéronautique – Trou d’air ou crise structurelle ?

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 661

L’urgence, ce sont évidemment les emplois. Plus de
17 000 suppressions ont été annoncées dans le groupe Airbus, soit 11 % de ses effectifs mondiaux. La crise du secteur aéronautique mérite d’être interrogée, tant à la lumière
du plan de soutien à la filière, qu’à celle des besoins. De fait, quel que soit l’avenir, il y aura besoin d’avions. D’où l’énorme enjeu à ne pas mettre en danger la capacité à anticiper le rebond du trafic aérien en limitant son impact écologique, par exemple avec un avion décarboné propulsé à l’hydrogène…

Au moment où débute le deuxième confine- ment, il n’est pas facile, en pleine crise sanitaire, de faire un pas de côté pour prendre un temps de réflexion sur la situation du secteur aéronautique et envisager son avenir. C’est qu’il y a d’abord urgence sur les emplois : plus de 17 000 suppressions ont été annoncées dans le groupe Airbus, soit 11 % de ses effectifs mondiaux ; environ 3 000 seraient aujourd’hui concernés en France, depuis qu’un accord a été trouvé sur la mise en place, en production, de l’Activité partielle de longue durée (Apld).

Les sous-traitants, à tous les niveaux, paient pour l’heure le prix fort : rien qu’en Occitanie, une trentaine de plans sociaux seraient en cours, aussi bien chez les équipementiers, comme Latécoère, qu’au sein des sociétés d’ingénierie et de services, comme Assistance aéronautique et aérospatiale (Aaa-Aéro). Toulouse n’est pas seule concernée : toujours pour la seule région Occitanie, où travaillent un tiers des 300 000 salariés du secteur, les bassins d’emploi de Pamiers ou de Figeac sont menacés.

Une production d’avions repartie à la hausse

Une fois passé le choc du premier confinement, c’est pourtant cette réflexion que mène la coordination Cgt du groupe Airbus. « Depuis le début, il y a une tentative pour déporter la crise du transport aérien sur le secteur aéronautique. Or nous contestons cette logique », explique Michel Moselin, coordinateur Cgt. Liée à l’arrêt du trafic, la première est réelle, mesurable, probablement en grande partie  passagère  comme  le  montre la reprise de l’aviation commerciale intérieure dans les pays ayant endigué l’épidémie : les compagnies chinoises ont d’ores et déjà retrouvé leur niveau d’activité de 2019. La seconde, qui justifie et motive les restructurations en cours, mérite

d’être interrogée alors qu’a été décidé un plan de soutien à la filière de 15 milliards d’euros, dont 7 milliards pour Air France.

Dès le mois de juillet, dans un contexte très dégradé, la fédération de la Métallurgie a rap- pelé un certain nombre de réalités : 7 600 avions restent à construire, ce qui correspond à presque dix ans de plan de charge pour Airbus et ses sous- traitants. Au mois de septembre, la production d’avions est d’ailleurs repartie pour atteindre 80 % de celle enregistrée en septembre 2019. Au total, 57 avions (contre 71), essentiellement de la famille des A320, ont été livrés. « À la fin de 2020, Airbus aura finalement enregistré davantage de commandes et moins d’annulations qu’une année plus tôt », affirme Michel Moselin. Patron d’Airbus, Guillaume Faury parle de son côté d’une situation conforme aux prévisions avec « assez de visibilité pour pouvoir viser un retour à une situation de trésorerie positive au 4e tri- mestre » *.

Des directions animées par la recherche du profit

L’annonce du deuxième confinement ne change pas fondamentalement la donne. Mais la « gravité » de la crise, essentiellement conjoncturelle et liée aux conséquences de l’épidémie, a eu le temps d’imprégner les esprits et la casse sociale

est, déjà, une réalité, singulièrement pour les intérimaires et les sous-traitants. Ainsi au sein des activités avioniques du groupe Thales, ce sont une baisse des investissements à tous les niveaux et 1 300 suppressions d’emplois qui ont été décidés fin octobre, pour l’essentiel concentrées au sein de la société Avs France, notamment sur les sites de Mérignac, Toulouse ou Châtellerault. Cela correspond à 25 % des effectifs de l’équipementier, avec des conséquences en cascade sur les petites et moyennes entre- prises sous-traitantes.

Le secteur aéronautique de Thales, ce sont des compétences en systèmes de visualisation, de connectivité et de gestion électrique des avions ou d’aides au plan de vol… Et pourtant : « Si l’on se place dans le contexte du groupe, celui-ci se porte bien, explique Grégory Lewandowski, représentant de la coordination Cgt Thales. Les résultats prévisionnels du groupe pour 2020 font état d’un niveau de profitabilité de 8 % environ, ce qui reste exceptionnel dans les circonstances du moment avec des bénéfices de 1,3 à 1,4 mil- liard d’euros. Mais cela est insuffisant pour la direction qui tablait sur une profitabilité de 10 % dans ses prévisions d’avant Covid.» À la fin du mois de septembre,  le  conseil  d’administration est allé jusqu’à décider le versement d’un acompte sur dividendes – plus de 85 millions d’euros – au titre de l’exercice 2020. Dans la situation actuelle, une décision « plus qu’incompréhensible » dénonce la coordination Cgt dans une lettre ouverte au Pdg du groupe, pointant la responsabilité des deux actionnaires majoritaires : Dassault Aviation et l’État.

Il ne s’agit pas de nier la réalité d’un trou d’air. Mais, observée secteur par secteur, la réalité de la filière est contrastée. Si la maintenance est logiquement et directement affectée par la chute du trafic aérien, la production, antérieurement affaiblie par les difficultés de Boeing, continue d’avoir des carnets de commandes en grande partie vides alors que, paradoxe, l’activité d’Airbus s’est redressée. Les bureaux d’études sont également déstabilisés bien que l’État se soit engagé à consacrer 1,5 milliard d’euros de financement public sur trois ans pour parvenir à un avion neutre en carbone en 2035, propulsé à l’hydrogène. Mais dans le même temps, la recherche et développement autofinancée est en diminution. « Il apparaît que la crise est ainsi utilisée pour capter des fonds publics, analyse Michel Moselin, fonds publics d’ailleurs contrôlés par des opérateurs privés, en dehors de toute

maîtrise publique et de toute conditionnalité. Mais si des usines ferment, ce sont des emplois et des savoir-faire qui disparaissent alors que l’urgence est de préserver l’activité des bassins de vie, notamment dans des départements peu industrialisés.»

POUR LIMITER L’IMPACT ÉCOLOGIQUE, L’AVION DÉCARBONÉ PROPULSÉ À L’HYDROGÈNE EST UNE PISTE. ON PEUT AUSSI ENVISAGER UN RENOUVELLEMENT DES FLOTTES AVEC DES AVIONS MOINS ÉNERGIVORES ET REMETTRE EN CAUSE LA LIBÉRALISATION DU SECTEUR AÉRIEN, FACTEUR DE DUMPING SOCIAL ET FISCAL

La crise, prétexte à capter des fonds publics, au détriment de la recherche

C’est qu’il faudra continuer à produire des avions. « Il nous faut préparer l’avenir. On doit redémarrer même s’il s’agit de redémarrer d’une autre façon. Mais pour le moment il y a bien une mise en danger de notre capacité à anticiper le rebond du trafic aérien demain », souligne Grégory Lewandowski. Préparer l’avenir suppose en effet d’imposer des alternatives à la réduction des salaires, des effectifs et à la dégradation des conditions de travail, en utilisant des dispositifs comme l’activité partielle de longue durée pour passer la crise, la diminution du temps de travail ou le développement de la formation profession- nelle. C’est aussi inscrire l’aéronautique dans une perspective respectueuse des conditions sociales et environnementales. Si le chemin est officiellement tracé, après les annonces faites sur l’avion décarboné, les défis technologiques sont immenses et risquent de ne pouvoir être relevés dans les temps. « Dans un secteur comme

l’aéronautique, 2035, c’est demain. Or avec l’affaiblissement, voire l’arrêt de projets de recherche et développement, on prend déjà du retard », pré- vient le représentant Cgt du groupe Thales. Déjà, fin 2016, la Cgt d’Airbus alertait sur le risque de perte de savoir-faire pour imaginer l’avion du futur, après l’annonce de la fermeture du centre de recherche et de technologies de Suresnes, dans les Hauts-de-Seine.

Pour limiter l’impact écologique, l’avion décarboné propulsé à l’hydrogène n’est d’ailleurs pas la seule piste. En parallèle, pourquoi ne pas envisager aussi un renouvellement des flottes avec des avions moins énergivores ? Pourquoi ne pas remettre en cause la libéralisation du secteur aérien, facteur de dumping social et fiscal ? La Cgt fait d’autres propositions, créatrices d’emplois, comme la mise en place d’une une filière pour déconstruire les avions et valoriser les matériaux récupérés. « Les questions environne- mentales traversent tous les débats. Mais nous ne nous plaçons pas dans la réflexion sur la fin d’une industrie, soutient ainsi Michel Moselin. Nous sommes pour une complémentarité des modes de transports, pour un développement davantage compatible avec les exigences écologiques set qui réponde aux besoins des populations. Et la réponse à ces besoins passe par l’industrie.»

Christine LABBE

 

https://journaloptions.fr/2020/11/restructurations-derriere-la-novlangue/

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Spectacle : l’entracte a trop duré

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 661

Frappés de plein fouet par les mesures de confinement, les professionnels du spectacle vivant veulent travailler.
C’est essentiel pour eux et pour toute la société, défendent-ils. Explication et précisions sur les revendications de tout un secteur.

ENTRETIEN AVEC DENIS GRAVOUIL, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES SyNDICATS DU SPECTACLE, DU CINÉMA, DE L’AUDIOVISUEL ET DE L’ACTION CULTURELLE (FNSAC).

Options : Le 13 novembre, la Fnsac-Cgt a appelé à une nouvelle mobilisation pour défendre le cinéma et le spectacle vivant. Comment s’est passée cette journée ?

Denis Gravouil : Avec 150 manifestants à Tulle, 250 à Nantes, 80 à Grenoble, 200 à Bordeaux et à Rennes ou encore 300 à Paris, elle a été un succès. Le 2 novembre, notre appel à se rassembler pour obtenir de l’État un soutien public massif au sec­teur du spectacle avait buté sur l’interdic­tion qui nous avait été faite de descendre dans la Cette fois, nous avons obtenu l’autorisation et nous avons démontré que les salariés et intermittents que nous représentons, qu’ils soient musiciens, auteurs, personnels administratifs ou d’accueil, danseurs, choristes, techni­ciens ou comédiens, ne sont pas décidés à s’en laisser conter.

– À quelle situation faites-vous face ?

– À une situation catastrophique. Si, dans le cinéma, des tournages sont encore pos­sibles, nous avons de grosses inquiétudes pour l’année 2021. Non seulement, nous risquons d’assister à la disparition d’une multitude de petites salles mais aussi à un encombrement des sorties de films qui va compliquer leur rencontre avec le public. Dans le spectacle vivant, le désastre est total puisque, depuis huit mois mainte­nant, excepté pendant quelques semaines cet été, l’activité est à l’arrêt. À l’arrêt total même, comme dans ce que l’on nomme la musique « debout», les rencontres de rock ou de rap où, depuis le mois de mars, il n’y a plus eu aucun concert. Nous faisons face à une crise inédite dans l’histoire. Pendant les Première et Deuxième Guerre mondiale, le spectacle ne s’est pas arrêté. La culture a pu être instrumentalisée, comme elle l’a été sous le nazisme. Mais elle n’a jamais été sommée de se mettre en sommeil. Nous avons eu quelques inquiétudes après les attentats de 2015. Mais, si problèmes il y a eu, ils sont restés limités dans le temps et dans l’espace. Dans l’espace parisien, pour l’essentiel.

– Beaucoup de spectacles ou de films sont accessibles désormais en vidéo ou sur Dvd. Les réseaux sociaux leur offrent aussi un accès nouveau. Certains disent que c’est là une alternative satisfaisante en ces temps difficiles. Qu’en pensez-vous ?

– Effectivement, il est possible d’accé­der à des spectacles ou à des films sur vidéo, de même que cela fait des années que les plateformes  numériques  jouent un rôle essentiel dans la diffusion de la musique. Mais nous ne pouvons pas nous en contenter. D’abord parce que les plate­ formes ne suffisent pas à faire vivre les chanteurs et les musiciens. Pour vivre et se faire connaître, ceux-­ci ont besoin de se produire sur scène. Ensuite, nul  ne peut rester indéfiniment  enfermé  chez soi devant un écran. L’espèce humaine est ainsi faite : elle a besoin de contacts et de rencontres. Les spectacles sont des éléments essentiels de la démocratie. Ce sont des moments où l’on réfléchit et où l’on partage des émotions. Des moments où l’on fait société. Jean­Luc Godard disait que le cinéma était un « transport en commun ». Que dire de mieux ?

– Le gouvernement justifie la fermeture de tous les établissements culturels en soulignant qu’ils ne relèvent pas de l’« activité essentielle ». L’argument est-il fondé, selon vous ?

– Le gouvernement confond « secteurs essentiels » et « secteurs vitaux ». Les hôpi­taux et leurs services d’urgence consti­tuent une activité vitale pour la société, c’est incontestable. Mais la culture a un caractère essentiel. Il l’est au sens où le théâtre, le cinéma, la littérature et les arts sont l’essence même de l’humanité. Ils sont ce qui permet de vivre ensemble, d’imaginer et de résister. Si ce n’est pas vital, c’est essentiel.

– Quelles mesures attendez-vous désormais du gouvernement ?

– Les annonces sans concertation du couvre­-feu puis du reconfinement ont placé le spectacle, le cinéma, l’audio­ visuel et l’événementiel dans une situa­tion catastrophique. Il aurait été possible d’anticiper. La deuxième vague était annoncée par les personnels de santé. Le gouvernement n’a rien voulu prévoir, se contraignant à agir au coup par coup. Nous avons conscience de la gravité de la situation, mais cette façon de faire n’est pas admissible. Depuis le début de la crise, nous travaillons pour mettre en place des protocoles stricts afin que les entreprises de spectacle ne soient pas des lieux de propagation du virus, et permettre ainsi une reprise timide de l’activité. Il faut sortir de cette politique qui nous impose sans cesse des mesures d’urgence sans rien organiser sur le long terme. Rien ne justifie que, mi­-novembre, nous ne sachions toujours pas comment vont se préparer les fêtes de fin d’année. Décembre est un mois essentiel pour le spectacle vivant, pour les compagnies de cirque, pour les plus petites qui se pro­duisent au moment des arbres de Noël. Peut)-­être le gouvernement ne le sait-­il pas, mais l’Opéra de Paris réalise en fin d’année un quart de ses recettes.

Que serait-il possible de faire pour éviter un effondrement du secteur ?

– Nous voulons travailler. Nous voulons vivre de nos métiers. Ce que nous espé­rons aujourd’hui, c’est un soutien massif de l’État à nos activités pour permettre les répétitions, les résidences et les tour­ nages, et produire ainsi les œuvres qui permettront de rencontrer le public dès que ce sera possible. Il faut absolument que nous ayons la possibilité de conti­nuer à travailler pour éviter la situation à laquelle nous avons été confrontés l’été dernier où, faute, d’avoir pu le faire au printemps, les professionnels du spec­tacle vivant n’ont pu assurer la tenue des festivals. Tout comme les athlètes, les dan­seurs, les marionnettistes, les choristes, les circassiens, les comédiens et les musi­ciens ne peuvent interrompre leur travail. Monter un spectacle nécessite des années de travail. Se produire sur scène demande des mois de préparation et de répétition. Même si nous ne pouvons pas accéder au public, nous devons pouvoir nous préparer à le faire. Les aides financières annoncées par la ministre de la Culture ne peuvent résoudre les problèmes. Roselyne Bachelot a annoncé la mobilisation de 85 millions d’euros pour le spectacle vivant et de 30 millions pour les salles de cinéma. Mais ces sommes sont, pour l’es­sentiel, destinées aux seules entreprises. C’est une goutte d’eau face au marasme auquel nous sommes confrontés.

– Une  somme qui ne  permet pas à « la culture de se réinventer », comme Emmanuel Macron l’appelait de ses vœux en mai dernier ?

– Emmanuel Macron se moque de la culture comme il se moque du service public, lui qui n’a jamais  eu  un  mot sur les performances lamentables de Cyril Hanouna sur Cnews, mais n’a pas hésité à déclarer que l’audiovisuel public était « la honte de la République ». Le macronisme mobilise une novlangue prônant une réinvention permanente. Nous n’avons pas attendu son promo­teur pour nous réinventer. Comme le cinéma, le spectacle vivant n’est pas un modèle industriel mais une  économie de prototypes qui, par nature, implique sans cesse d’imaginer et d’innover. Si réinvention il doit y avoir, c’est au gou­vernement de s’y atteler.

 

C’est-à-dire ?

– Que compte­-t-­il faire pour aider la société à affronter la crise économique et sociale d’une ampleur inégalée que nous vivons ? Sans doute  était­-il  justi­fié de recourir comme il l’a fait au chô­mage partiel. Mais cela ne peut suffire. Le gouvernement s’acharne à vouloir imposer une réforme du régime d’assu­rance chômage qui, de l’avis unanime des syndicats, va être catastrophique pour le monde du travail. Il est temps pour lui de se réinventer. La prolonga­tion annoncée des droits à l’indemni­sation chômage jusqu’au 31 août 2021 ne sera pas suffisante pour protéger les salariés touchés par la crise sanitaire. Les salariés en général, et les artistes en particulier. Nous demandons donc une prolongation des droits d’un an après la fin de toutes les interdictions de travail­ler, et ce, sans oublier les entrants dans le régime d’assurance chômage, dont beaucoup de jeunes. Nous demandons aussi que les prestations sociales et la continuité des droits – qu’il s’agisse des droits aux congés maternité, aux congés maladie ou à la formation profession­nelle – soient garanties à tous quelles que soient les périodes de travail accumu­lées. Le gouvernement doit en finir avec les dogmes qui sont les siens. Il le doit aux salariés comme aux intermittents du spectacle. La culture n’est pas seulement un argument commercial que l’on porte en étendard quand on veut vendre un Tgv en Chine. C’est une condition à la démocratie.

Propos recueillis par Martine HASSOUN

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Industrie Sens et bon sens – Options 661

Article mis en ligne le ,

Quel sens donner au travail et à la production industrielle ? L’urgence de la transition écologique, et la crise des chaînes de production de valeurs mondialisées confèrent à cette interrogation un caractère incontournable. D’où l’enjeu, tant dans l’aéronautique que dans l’automobile ou dans la chimie, d’une réappropriation globale de la production.

Quel sens donner au travail et à la production industrielle ?

L’urgence de la transition écologique, et la crise des chaînes de production de valeurs mondialisées confèrent à cette interrogation un caractère incontournable. D’où l’enjeu, tant dans l’aéronautique que dans l’automobile ou dans la chimie, d’une réappropriation globale de la production.

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À propos – novembre 2020

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 661

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Sondage Ugict : un vécu critique qui s’approfondit

La dernière livraison du sondage réalisé régu- lièrement par l’institut Viavoice pour le compte de l’Ugict fournit d’intéressants éclairages sur le Covid, le confinement, le plan de relance gou- vernemental… Alors que la vie politique du pays semble se résumer à deux chiffres, celui des admissions hospitalières et celui des décès, les réponses des cadres aux questions annuellement posées témoignent de la permanence, dans le travail, du ravage opéré par les politiques des directions et par les politiques publiques.

Pour ne s’en tenir qu’à des chiffres essentiels 1, 64 % des cadres estiment que le plan de relance du gouvernement ne sera pas efficace. Ce désaveu déjà considérable – près de sept cadres sur dix – est lui-même éclairé par l’ampleur de la réponse à une autre question. Interrogés pour savoir si, selon eux, les exonérations et les aides publiques prévues pour les entreprises devraient être sou- mises à différents critères (politiques d’emploi et d’embauche, niveaux de salaire et efforts de pro- tection de l’environnement), les cadres répondent positivement à hauteur de 84 % ! L’écart est donc énorme entre les orientations mises en œuvre par la puissance publique et l’opinion des cadres. Il s’explique en grande partie par la défiance qui solde le bilan social de la dernière période, carac- térisé par de grandes réformes structurelles qui, loin de faire consensus, divisent profondément l’opinion publique. C’est ainsi que 43 % des cadres estiment que le gouvernement devrait renoncer à sa réforme de l’assurance chômage et, à 54 %, souhaitent qu’il abandonne celle des retraites.

Confinement et réalités des pratiques managériales

Ces appréciations s’enracinent dans un vécu aux antipodes de toute dynamique de progrès et d’es- poir. C’est ainsi que 49 % des cadres estiment que leur évolution professionnelle a été stagnante ces dernières années. Et ils sont 53 % à estimer qu’elle stagnera dans les années à venir. On est d’emblée loin des sursauts et mobilisations profession- nelles que la période exige. Tout le reste est d’ail- leurs à l’unisson, à commencer par le salaire. Ce carburant de l’investissement professionnel est aujourd’hui vidé de sa capacité propulsive : 47 % le jugent en inadéquation avec leurs responsabi- lités et 49 % avec leur qualification, tandis qu’ils sont 56 % à estimer qu’il est décalé de leur temps de travail réel, et 57 % de leur charge de travail. Malgré tout, l’implication des cadres demeure haute; ils sont d’ailleurs 62 % à constater que leur salaire n’en tient pas compte…

Sur ce socle de mécontentement prolifèrent des pratiques managériales dont la qualité et la mise en œuvre sont loin de convaincre les cadres qui en sont à la fois objets et acteurs. Pour 44 % d’entre eux – 3 points de plus que l’année der- nière –, elles se sont dégradées, tandis que pour 44 % d’autres, elles n’ont pas changé, crise ou pas crise. À titre d’illustration, 58 % des cadres jugent que le système d’évaluation individuelle de leur entreprise n’est pas transparent. Seuls 37 % le pensent fondé sur de bons critères.

Dans ce cadre managérial dégradé, le niveau d’intégration aux choix stratégiques des entre- prises renvoie à un état des lieux doublement calamiteux. Environ 72 % des cadres estiment qu’ils ne sont pas associés à ces choix ; ce niveau correspond exactement à celui de 2014, et n’a pas varié depuis. Une telle stabilité en dit long sur la sincérité des discours managériaux tenus par les théoriciens patronaux sur la gouvernance des entreprises et sur leurs bonnes pratiques.

Ces différentes réponses – quel que soit leur degré de sincérité – signalent un « laisser-fairisme » pragmatique, rythmé par le stress et par la mécanique instrumentalisée des contraintes du contexte sanitaire. De fait, 61 % estiment que leur charge de travail a augmenté, et 53 % que leur temps de travail s’est allongé. Ce qui conduit 59 % d’entre eux à travailler pendant les jours de repos. Là encore, ce chiffre – d’une grande stabilité ces dernières années – témoigne bien qu’on est face à une organisation du travail et non face à d’éven- tuels débordements conjoncturels. Sur ce plan, les nouvelles technologies et leurs usages jouent un rôle central. Trois cadres sur quatre déclarent ainsi les utiliser pour leur usage professionnel et sur leur temps personnel. Ce qui conduit 69 % d’entre eux à souhaiter bénéficier d’un droit effectif à la déconnexion, pour protéger leur vie privée et leur santé. Pour mémoire, ils n’étaient que 56 % en 2016 à souscrire à cette idée ; le résultat de 2020 accuse une hausse de 9 points par rapport à l’année précédente, ce qui renvoie en partie au management mis en œuvre à partir de la généra- lisation d’un télétravail en mode dégradé.

Des droits, des droits ! pour l’emploi et pour le climat

Interrogés pour savoir à qui ils font confiance pour la défense de leurs droits, les cadres témoignent d’un isolement internalisé: à 46 %, ils l’accordent d’abord… à eux-mêmes. Les organisations syndi- cales arrivent loin derrière avec un taux de 25 % devant les avocats (11 %), leurs directions (9 %), les pouvoirs publics (8 %) et enfin les partis politiques (1 %). Le petit 9 % accordé aux directions d’entre- prises prend tout son sens lorsqu’on rapproche la question des droits de celle de l’éthique profes- sionnelle. En effet, 53 % des cadres estiment que leur éthique professionnelle entre en contradic- tion avec les choix et les pratiques réelles de leur entreprise ou de leur administration. Alors que 47 % estiment au contraire qu’il n’y a pas conflit, ils ne font pas pour autant confiance à leurs direc- tions en termes de droits.

On retrouve cette configuration dans les réponses apportées à la question d’un accès au droit d’alerte dans le cadre de leurs responsabilités, d’un droit permettant de refuser de mettre en œuvre une directive contraire à l’éthique individuelle. S’ils sont 57 % à répondre positivement, force est de constater que ce pourcentage accuse une baisse constante depuis l’année 2016, où ils étaient 62 %. Cette évolution se vérifie dans l’augmentation de 4 points de ceux qui se déclarent contre. Un peu comme si cette liberté apparaissait à la fois hors de portée au vu du management autoritaire qui prévaut et pouvant responsabiliser – au mauvais sens du terme – le cadre qui en userait dans un contexte peu enthousiasmant.

Face à quoi, ils opposent des priorités claires, en plaçant en tête (64 %) l’équilibre entre vie profes- sionnelle et vie privée. Le salaire arrive en seconde position (52 %) et le contenu et le sens de leur travail en troisième position (49 %). Notons que la carrière arrive en dernière position (15 %) ce qui, là encore, en dit long sur l’impact démobilisateur des politiques patronales, sans doute accru par le caractère intensif du télétravail. De fait, 75 % des cadres jugent que les pratiques favorisent les durées excessives de travail sans garantir un quel- conque droit à la déconnexion. Dernier message, véritable clin d’œil lancé à la crise sociale et clima- tique, ils sont 66 % à penser utile que les instances représentatives du personnel puissent avoir le droit de suspendre la décision d’une entreprise en matière d’emploi ainsi que sur les questions environnementales. À bon entendeur…

Pierre TARTAKOWSKY

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Éditorial de Marie-José Kotlicki : Prendre la main sur son travail

Article mis en ligne le , publié dans Options n° 661

Organiser la bataille contre l’avalanche de plans sociaux et de ruptures conventionnelles collectives, obtenir de nouveaux droits face aux formes atypiques de travail, voilà qui mobilise toute la Cgt et son Ugict. Entre déploiement des bureaux d’embauche et d’outils pour encadrer le télétravail, les militants travaillent d’arrache-pied. Largement discréditées par l’expansion de la crise sanitaire, […]

Organiser la bataille contre l’avalanche de plans sociaux et de ruptures conventionnelles collectives, obtenir de nouveaux droits face aux formes atypiques de travail, voilà qui mobilise toute la Cgt et son Ugict. Entre déploiement des bureaux d’embauche et d’outils pour encadrer le télétravail, les militants travaillent d’arrache-pied.

Largement discréditées par l’expansion de la crise sanitaire, économique et sociale, les mesures gouvernementales nous invitent cependant à un engagement sur un autre terrain : celui des mesures de fond pour rompre avec les logiques de financiarisation des entreprises et de marchandisation des services publics.

L’indignation face aux lois sécuritaires nourrit de toute part un esprit d’insurrection : chez les intellectuels, les chercheurs, les catho- liques, les commerçants, les associations, les salariés…

Ce qui se passe au travail rejaillit sur toute la société. La doxa libérale refuse à l’encadre- ment la plus fondamentale de ses missions :

penser le contenu du travail pour satisfaire les besoins économiques et sociaux des populations. Ainsi censurés, les cadres souffrent d’une perte de sens et se détournent des entreprises et des administrations publiques. Ce gâchis impose un changement de paradigme : permettre aux salariés de prendre la main sur le contenu du travail pour travailler et vivre autrement. Du soulèvement des chercheurs aux recueils de bonnes pratiques élaborées par de jeunes diplômés, en passant par les fab-lab, les makers ou la magistrale reprise en main de leur travail par les personnels hospitaliers, les expériences novatrices fourmillent.

Le besoin d’avancer sur de nouvelles façons de concevoir le travail, la reconquête de la culture du métier, la reconnaissance de l’expertise et du professionnalisme s’imposent dans tous les esprits.

C’est pourquoi l’Ugict-Cgt, en vue de son prochain congrès, en novembre 2021, crée un site, Letravailestanous.fr, pour favoriser les échanges. L’objectif est de donner aux ingés, cadres et techs le moyen d’être les acteurs de nouvelles alternatives pour sortir du dilemme « fuir ou subir l’entreprise ». Nous leur offrons ainsi la possibilité de reprendre collectivement, par leurs contributions, la main sur leur travail pour davantage de sens, d’utilité sociale, économique et environnementale. Cette démarche de transformation sociale par les intéressés eux-mêmes est au cœur de la préparation de notre congrès, avec l’idée de concilier l’échange face à face et la mobilisation du numérique au profit de la prise de conscience et du rapport de force.

Notre ambition est d’offrir à cette vague d’indignation et de contestation des débouchés concrets pour transformer le travail. Alors ensemble, faisons vivre Letravailestanous.fr !

Marie-José Kotlicki, COSECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE L’UGICT-CGT DIRECTRICE D’OPTIONS

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Sacrifiés ? Jeux de dupes – Options 660

Article mis en ligne le 26 octobre 2020,

Le basculement rapide des médias de la «génération climat» portée aux nues, à l’apitoiement sur la « génération covid » participe de jeux d’images dans lesquels les adultes et les jeunes, dans leur diversité sociale, sont promis au rôle de dupes.

Le basculement rapide des médias de la «génération climat» portée aux nues, à l’apitoiement sur la « génération covid » participe de jeux d’images dans lesquels les adultes et les jeunes, dans leur diversité sociale, sont promis au rôle de dupes. (suite…)

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Transition écologique / industrie sous vents contraires – Options 659

Article mis en ligne le 28 septembre 2020,

Alors qu’il devient urgent d’engager les travaux pratiques de la transition écologique, le gouvernement affiche d’autres priorités, tournées vers le régalien. Les grands groupes industriels, comme si de rien n’était, poussent les feux de la déréglementation du travail. Loin d’engager les politiques novatrices nécessaires, les politiques mises en œuvre désorganisent l’emploi, les compétences et les […]

Alors qu’il devient urgent d’engager les travaux pratiques de la transition écologique, le gouvernement affiche d’autres priorités, tournées vers le régalien. Les grands groupes industriels, comme si de rien n’était, poussent les feux de la déréglementation du travail. Loin d’engager les politiques novatrices nécessaires, les politiques mises en œuvre désorganisent l’emploi, les compétences et les équipes. À rebours des discours, les grandes entreprises telles que Renault Trucks ou Sanofi souffrent de l’emprise des mêmes repères économiques toxiques qui ont préparé la crise précipitée par le Covid…

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L’«après » Quelles transitions ? – Options 658

Article mis en ligne le 01 juillet 2020,

Engager la construction de l’«après» suppose de se dégager des orientations qui ont fait le lit de la crise actuelle et des contraintes qu’elles continuent à faire peser sur les politiques publiques et les priorités du privé. En témoigne l’explosion du télétravail, les gestions numérisées de la vie quotidienne et du travail…
Reste qu’un «après» se […]

Engager la construction de l’«après» suppose de se dégager des orientations qui ont fait le lit de la crise actuelle et des contraintes qu’elles continuent à faire peser sur les politiques publiques et les priorités du privé.
En témoigne l’explosion du télétravail, les gestions numérisées de la vie quotidienne et du travail…
Reste qu’un «après» se prépare.

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En sortir : Comment, quels choix, à quels prix ? – Options 657

Article mis en ligne le 03 juin 2020,

Pour cette édition exceptionnelle 100% dématérialisée, nous avons facilité l’accès à différents modes de consultation du numéro, pour vous permettre de vous concentrer sur les contenus, et ce en fonction de vos supports et de vos temps de lecture. Plutôt que de simplement publier une version numérisée du journal (que vous ne recevrez pas dans votre boite […]

Pour cette édition exceptionnelle 100% dématérialisée, nous avons facilité l’accès à différents modes de consultation du numéro, pour vous permettre de vous concentrer sur les contenus, et ce en fonction de vos supports et de vos temps de lecture. Plutôt que de simplement publier une version numérisée du journal (que vous ne recevrez pas dans votre boite aux lettres ce mois-ci en raison du contexte sanitaire), nous avons choisi d’utiliser le numérique comme une opportunité, sans rien changer à la qualité des textes publiés.

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Télétravail : à l’ombre du Coronavirus – Options 656

Article mis en ligne le 30 avril 2020,

Pour cette édition exceptionnelle 100% dématérialisée, nous avons facilité l’accès à différents modes de consultation du numéro, pour vous permettre de vous concentrer sur les contenus, et ce en fonction de vos supports et de vos temps de lecture. Plutôt que de simplement publier une version numérisée du journal (que vous ne recevrez pas dans votre boite […]

Pour cette édition exceptionnelle 100% dématérialisée, nous avons facilité l’accès à différents modes de consultation du numéro, pour vous permettre de vous concentrer sur les contenus, et ce en fonction de vos supports et de vos temps de lecture. Plutôt que de simplement publier une version numérisée du journal (que vous ne recevrez pas dans votre boite aux lettres ce mois-ci en raison du contexte sanitaire), nous avons choisi d’utiliser le numérique comme une opportunité, sans rien changer à la qualité des textes publiés.

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Médias dans l’étau – Options 655

Article mis en ligne le 30 mars 2020,

Le nœud coulant du «toujours moins» On pourrait croire que tout va bien. La maison Radio France est la première, y compris sur les supports numériques selon Médiamétrie, et son budget est à nouveau à l’équilibre. Mais dans un monde où les raisons budgétaires l’emportent largement sur la raison, elle est aux prises avec un […]

Le nœud coulant du «toujours moins»
On pourrait croire que tout va bien. La maison Radio France est la première, y compris sur les supports numériques selon Médiamétrie, et son budget est à nouveau à l’équilibre. Mais dans un monde où les raisons budgétaires l’emportent largement sur la raison, elle est aux prises avec un plan d’économies de 60 millions d’euros soit, s’il était appliqué, 299 suppressions de postes. De trajectoires financières non respectées en plans stratégiques, la logique financière qui s’oppose à celle de l’entreprise semble sans fin. Elle participe pourtant d’une « stratégie »… (suite…)