L’accès direct au psychologue est un enjeu de santé publique

Peu  après  l’élection  présidentielle  de  mai  2017,  une expérimentation de prise en charge par la CPAM « des thérapies  non  médicamenteuses  des  troubles  en  santé mentale  d’intensité  légère  à  modérée  »  a  été  mise  en place dans 3 puis 4 départements pour les adultes de 18 à 60 ans. Cette expérimentation est d’une part clairement guidée par des questions économiques : les troubles en santé mentale, à travers la consommation de psychotropes et  les  arrêts  maladie,  ont  un  coût  très  élevé  pour l’assurance maladie, serait-il plus rentable de rembourser les psychothérapies réalisées par les psychologues et les psychothérapeutes agrées ? D’autre part, elle applique les recommandations de la HauteAutorité en Santé en direction des médecins généralistes : proposer en première intention une psychothérapie de soutien dans le cas d’un épisode dépressif caractérisé d’intensité légère ou modéré.

Un premier bilan

Le  protocole,  pensé  par  un  comité  scientifique  dont les  psychologues  sont  quasiment  absents,  prévoit  une évaluation médicale par un généraliste qui, si le patient entre dans les critères des troubles indiqués (dépression, anxiété,  problématiques  psychosomatiques),  prescrit  10 séances de « psychothérapie de soutien » réalisée par un psychologue ou un psychothérapeute conventionné. Celui- ci doit d’abord effectuer une nouvelle évaluation à l’aide des échelles d’anxiété et de dépression et faire un retour au généraliste. A la fin des 10 séances, le psychologue rend compte des progrès du patient et, si nécessaire, prolonge le travail par 10 séances supplémentaires de « psychothérapie structurée », sur une nouvelle prescription et après  avis  préalable  d’un  psychiatre.  Le  montant  de  la prestation payée aux psychologues libéraux qui s’engagent dans  le  dispositif  est  de  22€  la  demi-heure  pour  la psychothérapie de soutien et 32€ les trois quart d’heure pour  la  psychothérapie  structurée,  sans  possibilité  de dépassement, montants sans rapport avec les honoraires réellement pratiqués en général.

On  peut  d’ores  et  déjà  établir  un  premier  bilan  quant au  nombre  de  psychologues  entrés  dans  ce  dispositif expérimental et au pourcentage que cela représente par rapport à la totalité des psychologues des départements concernés, selon les chiffres fournis par la CNAM : 77 soit

56 % des psychologues dans le Morbihan, 312 soit 80 % des psychologues en Haute Garonne, 169 soit 78 % dans les Bouches du Rhône, 34 soit 46 % dans les Landes.

Un projet inadapté

Attardons-nous  sur  le  cas  de  la  Haute-Garonne  où  le nombre de psychologues qui ont adhéré à la convention est  particulièrement  élevé.  Ce  département

qui  compte un  nombre  très  important  de  psychologues  en  libéral, surtout  sur  la  métropole  toulousaine,  présente  aussi  la particularité  de  proposer  une  offre  publique  réduite  au regard  de  la  densité  de  population.  L’expérimentation  y connaît un succès tel auprès des patients comme auprès des  généralistes  que  les  budgets  provisionnés  pour  3 ans  étaient  utilisés après  une  année  de  fonctionnement seulement  ! 43 000 actes remboursés : 6 856 entretiens d’évaluation par 260 psychologues ou psychothérapeutes, 29  771  psychothérapies  de  soutien,  6  433  thérapies structurées soit un coût de plus d’1 million d’euros. Succès tel que la CPAM s’en est inquiété et a mis en place une vérification beaucoup plus stricte des critères d’exclusion. Il  en  est  ressorti  qu’environ  40 %  des  patients  pris  en charge n’auraient pas dû relever de l’expérimentation…et l’application des critères a été durcie.

Parlons justement de ces derniers : ils excluent les moins de 18 ans et les plus de 60 ans, soit des périodes de la vie, l’adolescence et la retraite, plutôt propices aux épisodes dépressifs, les étudiants et les professionnels de l’agriculture qui ne sont pas inscrits à la CPAM, ceux qui prennent des traitements  psychotropes  ou  qui  ont  connu  un  épisode récent  d’hospitalisation  et  qui,  dès  lors,  ne  relèveraient plus  d’un  accompagnement  psychothérapique  de  même que ceux qui sont trop anxieux ou trop dépressifs selon les scores des échelles recommandées. On comprend, face à l’absurdité de tels critères au regard des besoins réels en santé mentale, la tentation des médecins prescripteurs de les contourner dans 40 % des cas.

Cela  confirme  ce  que  les  psychologues  demandent depuis plusieurs années : un accès direct et remboursé aux psychologues sur tout le territoire pour répondre aux besoins en santé mentale. Cela est urgent. Il s’agit d’un enjeu de santé publique.

Les bases de l’accès direct au psychologue sur l’ensemble du territoire

Jusqu’à présent, il n’y a eu que très peu de prise en compte de la dimension du soin psychique dans notre système de soins. Les problématiques les plus lourdes sont renvoyées vers la psychiatrie dans les conditions que l’on sait : une approche essentiellement médicamenteuse, une prise en charge dégradée dans les hôpitaux publics, des attentes insupportables pour accéder à un CMP, voire des refus de soin, l’hôpital ne remplissant plus, depuis longtemps, sa mission de prévention en santé mentale. Les psychiatres libéraux  sont  également  saturés  et  inégalement  répartis sur le territoire. Dans ce contexte, les inégalités sociales sont  manifestes  :  indépendamment  du  besoin  qu’ils  en ressentent ou de la nécessité d’un tel accompagnement, seuls  ceux  qui  en  ont  les  moyens  financiers  peuvent consulter un psychologue.

D’autres  pays  européens  ont  une  approche  beaucoup moins  médico-centrée  de  la  santé  que  la  France  et remboursent  déjà  les  psychothérapies  réalisées  par  les psychologues en libéral. En Grande-Bretagne, des études montrent que traiter une dépression par la psychothérapie menée directement par un psychologue, sans passage par une prescription médicale qui en retarde la mise en place, est plus efficace et moins coûteux que les traitements par psychotropes.  De  nombreuses  études  scientifiques  ont démontré  que  la  psychothérapie,  lorsqu’elle  est  choisie par le patient (ce qui suppose qu’aucun modèle ne soit prédominant ou ne lui soit imposé), est plus efficace que les médicaments.

Les    approches    psychologique    et    médicale    sont complémentaires   et   la   prescription   médicale   de   la psychothérapie    est    inadaptée.    Le    diagnostic    du fonctionnement psychique du patient en vue d’évaluer la pertinence d’une psychothérapie relève de la compétence du psychologue et non du médecin généraliste qui n’a pas de formation spécifique dans ce domaine.

Le développement d’une prise en charge libérale ne peut pas non plus répondre à l’ensemble des demandes et des situations, ni se substituer à l’offre publique. Le renforcement du  service  public reste  une  priorité  et  les  effectifs  de psychologues dans les équipes pluri-professionnelles des centres  médico-psychologiques  doivent  être  augmentés, notamment dans les quartiers et zones rurales aujourd’hui désertifiés.

Pour  toutes  les  raisons  énoncées,  les  expérimentations actuelles ne peuvent devenir un modèle généralisable. Et en particulier, à cause du contrôle médical qu’elles imposent et de la façon dont sont fixés les durées de prise en charge ainsi que le montant des honoraires.

L’ouverture d’une brèche dans un système médico-centré

La perspective d’un remboursement possible des actes des psychologues constitue une avancée. Elle constitue une reconnaissance de leur place dans le champ de la santé et  une  éventuelle  reconfiguration  de  la  profession  qui, depuis des décennies, connaît un chômage et une précarité endémiques. Mais c’est aussi, allant de pair, le risque, qui n’a jamais été aussi proche, d’une paramédicalisation de leur exercice qui, à l’instar de l’expérimentation, peut se décider très vite et sans débat parlementaire, en légiférant par simple ordonnance.

Les  conséquences  de  l’inscription  des  psychologues dans   la   liste   des   professionnels   paramédicaux   les concerneraient tous, quel que soit leur statut : libéraux, salariés, fonctionnaires. C’est l’ensemble des psychologues qui  exerceraient  désormais  sur  prescription  médicale. On  peut  facilement  imaginer  que  cela  donnerait  lieu  à des  critères  d’évaluation,  des  injonctions  de  bonnes pratiques, de traçabilité, de transmissions des écrits, des recommandations de l’HAS…etc. Dans les établissements de santé, cela inscrirait les psychologues dans un lien de subordination hiérarchique aux médecins, aux directions de soins, aux cadres de santé, non sans effet sur le rôle spécifique et l’autonomie méthodologique qu’ils ont déjà, bien souvent, du mal à défendre. L’intérêt, dans un contexte de pénurie médicale (qu’on a de longue date organisée et artificiellement créée) de cette para-médicalisation est évident. Elle permettrait, de manière officielle et légale, une délégation de

tâches du médecin au psychologue qui, à ce jour, n’existe pas : par exemple, la mise en œuvre d’une psychothérapie prescrite et contrôlée par le psychiatre.

En ce qui concerne la santé publique, cette expérimentation ouvre  une  brèche.  C’est  une  reconnaissance  que  le suivi psychologique n’est pas seulement un adjuvant au traitement médical ou une thérapie de confort mais relève du soin. C’est une brèche dans une approche de la santé qui, en France, est médico-centrée et quasi exclusivement curative.  La  perspective  d’un  remboursement  des  actes des psychologues, mais à condition seulement que l’on dépasse leur lien de subordination à un contrôle médical, laisserait entrevoir un élargissement de la conception de la santé et des professions qui y participent. C’est pourquoi, face à ce qui constitue aujourd’hui un véritable enjeu de santé publique, les psychologues portent la responsabilité d’ouvrir la brèche et de défendre des choix qui auront des conséquences durables.

La  psychologie  en  tant  que  discipline  est  en  capacité de  contribuer  aux  réponses  à  apporter  aux  besoins  de santé publique. Aussi les organisations de psychologues demandent aux pouvoirs publics une concertation urgente avec leurs représentants.

 

Montreuil, le 30 août 2019

 

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Publié le :
30 août 2019

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