Prise de parole d’un directeur suite à la mobilisation des EHPAD

En tant que directeur d’établissement, c’est assez naturellement par les propos désobligeants tenus par la ministre de la santé Agnès BUZYN lors d’une audition à l’Assemblée nationale le 5 décembre 2017 que j’ai envie de commencer. Interpellée sur les difficultés de fonctionnement dans les EHPAD, la ministre s’est fendue d’une explication bien pratique visant à rejeter toute la misère des Ehpad sur le dos des directeurs. Reprenons sa citation :

« Tout n’est pas qu’une question financière et nous ferions une erreur de réduire le problème des EHPAD aujourd’hui au mode de tarification. » Il faut dire qu’il y a une « capacité managériale qui n’est pas toujours au rendez-vous, notamment dans certaines structures publiques. »

Autrement dit, ce n’est pas un manque d’argent, c’est un problème d’organisation. Ce système d’œillères sur les dysfonctionnements majeurs que rencontrent les EHPAD est intolérable.

La ministre a essayé de sortir ses vieilles recettes consistant à opposer les catégories de personnels pour mieux masquer la réalité. Les directeurs contre les soignants, les établissements contre les aidants, les médecins contre les paramédicaux, etc, etc. Diviser pour mieux régner. Faire diversion et désigner des boucs émissaires pour mieux noyer le débat.

Aujourd’hui, en tant que directeur, je suis venu dire à la ministre que je suis fier d’être un mauvais professionnel, je suis fier de lui dire avec de plus en plus de mes collègues que je ne veux plus mettre mes capacités managériales au service de ses objectifs d’austérité.

Je suis fier de lui dire que je ne veux plus être le lampiste qu’on fait sauter quand on prend la peine de se pencher sur les Ehpad et qu’on découvre – oh stupeur ! – qu’ils dysfonctionnent par un manque criant de moyens. Je suis fier de dire aujourd’hui, même si cela peut déplaire à madame la ministre ou à ses sbires à la tête de l’ARS, que mon métier n’est pas d’être un gestionnaire de coûts, un « cost killer » selon la terminologie managériale. Je suis fier de dire que je ne veux pas être le petit caporal d’un pouvoir politique dont les desseins sont la destruction du service public et pas le service rendu à la population. Ce qui fait au contraire mon honneur professionnel, c’est de dire « haut et fort » que je suis le témoin des politiques qui nous conduisent à la catastrophe car elles vont à l’encontre de l’intérêt général de la population.

La vérité, c’est qu’on fait bosser des gens dans des conditions de merde là où on n’a même pas 0,6 personnels par résident et qu’il nous faudrait impérativement 1 soignant pour 1 résident.. Ça fait des années qu’on le sait et des années qu’on ne fait rien.

La vérité, c’est que la réforme de la tarification issue de la loi ASV de décembre 2015 a fait perdre 40 000 € en moyenne à chaque Ehpad, donc concrètement un à deux emplois qu’on supprime. Sans compter les contrats aidés qui disparaissent alors qu’ils devraient être embauchés en contrat pérenne. `

La vérité, c’est qu’on n’a plus le temps de se réunir en équipes, de partir en formations, de se réserver tous ces temps qui sont pourtant si essentiels pour garantir la qualité des prises en charge.

La vérité, c’est que des investissements essentiels ne sont plus réalisés faute de moyens et qu’on ouvre grand les portes au secteur lucratif qui veut faire main basse sur les revenus des personnes âgées qui restent solvables.

La vérité, c’est que pour raboter les prix, on en vient à supprimer les animations, les sorties, les soins esthétiques, tout ce qui fait le supplément d’âme indispensable pour les personnes qui sont pourtant de plus en plus dépendantes.

La vérité, c’est aussi que rien n’est prévu pour faire face au choc démographique d’une population de personnes dépendantes qui augmentent de 20 000 chaque année en France.

La vérité, c’est qu’on nous ment quand on instrumentalise le maintien à domicile pour faire soi-disant face au choc démographique en faisant mine de respecter le souhait des personnes vieillissantes.

La vérité, c’est qu’on a mis 50 ans pour mettre fin aux hospices mouroirs et que les mesures mortifères imposées par nos gouvernants ne mettront pas 10 ans avant de les recréer.

Dans ces conditions, je suis plutôt fier de décevoir madame la ministre, mais je veux aussi lui dire toute la colère que nous avons aujourd’hui. Car pendant qu’on perd notre temps à trouver des bouc-émissaires, on fait diversion, on nous empêche de parler des vraies difficultés, on nous prive en quelque sorte de débat public et de démocratie.

Nous sommes en colère mais nous sommes aussi déterminés. Car cette fois-ci, les tours de passe-passe ne suffiront plus à éteindre le feu social qui couve depuis trop longtemps. Aujourd’hui, nous avons atteint un point de non-retour. Nous sommes dos au mur, il n’y a plus de petites poires pour la soif, plus de petits budgets annexes à grignoter, de patrimoine à vendre ou de meilleure gestion à mettre en œuvre. Rien de tout cela, nous sommes à l’os. Et face à un gouvernement ATTILA qui veut réduire en cendres tous nos conquis sociaux, il n’y a plus 36 solutions, il faut donner du volume au mouvement qui s’est enclenché aujourd’hui. Face à un tel gouvernement, seule une négociation sous la pression du rapport de force, peut changer radicalement la donne.

Faute de quoi, la ministre se bornera à quelques annonces et on sera repartis pour des années de souffrance et de régression.

Aujourd’hui, j’ai plus que jamais la conviction que nous pouvons gagner. La ministre a dû commencer à lâcher du lest la semaine dernière, sentant bien que nous serions au rendez- vous.

Il faut continuer ainsi, faire en sorte que chacun trouve sa place dans la lutte décisive qui s’engage, quelle que soit sa position professionnelle, son métier ou son parcours. Face aux manipulations et aux logiques de division de nos gouvernants c’est de plus de solidarité, de cohésion et de rassemblement dont nous avons besoin. Car c’est ni plus ni moins notre modèle de société qui est en jeu, celle que nous voulons pour nos aîné.e.s mais aussi pour nous-mêmes.

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Publié le :
30 janvier 2018

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