Faits et procédure :
Le 21 octobre 2000, un journaliste français a été atteint par une balle, alors qu'il se trouvait en reportage à Ramallah en Cisjordanie. Il assistait alors à un des épisodes de la seconde Intifada, au cours duquel de jeunes Palestiniens lançaient des pierres en direction de soldats israéliens, répondant par des jets de gaz lacrymogène et des tirs. Après s’être tenu un moment dans l’angle d’une place, assis au pied d’un haut mur, discutant avec de jeunes adultes palestiniens, il se levait et était atteint par une balle au poumon. Le journaliste français a du subir, lors de son retour en France, de lourds traitements et est resté handicapé avec une infirmité permanente partielle évaluée à 42%.
Une information judiciaire ouverte au tribunal de grande instance (TGI) de Paris en 2002 établissait que la balle qui avait atteint le journaliste provenait d’une arme en service dans l’armée israélienne, qu’elle avait été très probablement tirée par un militaire israélien, depuis une position tenue par l’armée israélienne. Faute de coopération des autorités judiciaires israéliennes, l’identité du militaire n’a pas pu être déterminée, ne permettant pas, par voie de conséquence, d’établir la nature intentionnelle ou non des faits. Le 24 mai 2011, le juge d'instruction rendait une ordonnance de non-lieu motivée par l’identification rendue impossible de l’auteur des faits.
Le 25 mai 2012, le journaliste français saisissait la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) du TGI de Paris en vue d’obtenir une indemnisation de son préjudice. Le 21 juin 2013, la CIVI rendait un jugement déboutant le requérant. Elle indiquait que le journaliste a été victime d’un acte, dont il n’est pas établi, compte tenu du contexte dans lequel il s’est produit, qu’il constituait une infraction. Ce faisant, pour la CIVI, l’acte en question n’entrait pas dans le champ d’application de l’art. 706-03 du Code de procédure pénale (CPP) et ne pouvait pas donner lieu à indemnisation.
Rappelons que les règles du CPP relatives à la CIVI permettent l’indemnisation intégrale du préjudice corporel subi à l’étranger par toute « personne lésée (…) de nationalité française », à la condition qu’elle ait été victime « de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction ». Le caractère un peu inédit de cette affaire tenait à ce que l’acte à l’origine du dommage a été commis à l’étranger, par un militaire, dans une situation de conflit armé : dès lors, pouvait-on considérer que les « faits volontaires ou non » à l’origine du préjudice subi par le journaliste français présentaient « le caractère matériel d’une infraction » lui ouvrant droit à indemnisation ? La réponse à cette question devait, à notre sens, être positive. Le raisonnement de la CIVI ne semblait pas conforme au droit en vigueur, car il ajoutait à la loi des conditions restrictives qu’elle ne prévoit pas.
Pour exclure le droit à indemnisation, le jugement du 21 juin 2013 avait eu recours à des notions non prévues par la loi comme l’existence en Palestine d’un « contexte politique » particulier excluant l’application du droit commun et « l’appréciation du comportement d’un Etat étranger » qu’imposerait la qualification juridique du tir à l’origine du dommage. Le raisonnement de la CIVI du TGI de Paris revenait à créer de manière prétorienne un nouveau cas d’exclusion du droit à l’indemnisation par le Fonds de garantie d’une personne de nationalité française victime d’une infraction commise à l’étranger. Appel était interjeté contre le jugement par la victime.
L’apport de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris :
Par un arrêt du 21 septembre 2015, la Cour d’appel de Paris infirme le jugement de la CIVI et déclare recevable la demande en indemnisation du journaliste français. L’arrêt ne s’égare pas dans des considérations qui sont étrangères au texte organisant en France l’indemnisation des victimes d’infractions et s’appuie sur la loi. L’art. 706-03 du CPP énonce que « toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultant des atteintes à la personne » et ce sous réserve du respect de conditions limitativement énumérées : la victime ne relève pas d’un autre régime légal d’indemnisation (par exemple celui régissant les accidents de la circulation ou celui relatif aux militaires blessés en service ou en opération extérieure) ; la victime a subi un grave préjudice (les faits doivent avoir entraîné la mort, une incapacité permanente ou une ITT supérieur ou égale à un mois) ; la victime est de nationalité française ou les faits qu’elle a subis ont été commis sur le sol français ; la victime n’a pas commis de faute à l’origine du préjudice. Tous les autres éléments mis en avant par la CIVI dans son jugement sont indifférents. Les règles du CPP relatives à la CIVI visent à permettre la prise en charge d’infractions commises à l’encontre de citoyens français à l’étranger. Ce n’est que lorsque l’une des conditions énumérées par la loi n’est pas réunie que l’indemnisation peut être refusée.
L’arrêt rappelle les incertitudes propres à cette affaire que l’information n’a pas pu lever, faute de coopération des autorités judiciaires israéliennes : tireur très probablement israélien (mais avec une incertitude possible quant à sa qualité de militaire ou de civil) ; tireur dont l’identité n’a pas été établie ; impossibilité de déterminer le caractère volontaire ou involontaire du tir. Il n’en demeure pas moins que les critères exigés par la loi sont réunis, les faits à l’origine du grave préjudice subi par la victime française présentant le caractère matériel d’une infraction (tirer sur un civil désarmé et ne représentant aucune menace est nécessairement illégal, que le tir ait été volontaire ou involontaire) et aucune faute de la victime n’étant relevée. Rien dans l’art. 706-03 du CPP ne permet d’exclure le droit à indemnisation du journaliste, le texte ne faisant pas de distinction selon que l’infraction se soit produite dans un Etat en paix, dans un Etat faisant l’objet de tensions internes ou de troubles intérieurs ou encore dans un Etat connaissant une situation de conflit armé interne ou international, pour reprendre les classifications propres au droit international humanitaire. L’arrêt indique à juste titre que « le seul fait que l’infraction ait été commise sur un territoire où ont lieu des affrontements armés ne suffit pas à exclure son caractère de droit commun ». En effet, l’existence d’une situation de conflit armé dans un territoire – résultant en l’espèce en Palestine d’une occupation belligérante – qui entraine l’application du droit international humanitaire n’exclut en rien la possible commission d’infractions pénales sur ce territoire. Telle était d’ailleurs la position du parquet général dont l’avis avait été opportunément sollicité par la Cour d’appel de Paris. Dès lors, l’arrêt en conclut que « les violences commises (…) présentent le caractère matériel d’une infraction de droit commun » et à ce titre ouvrent droit pour la victime du dommage à une indemnisation par le Fonds de garantie.
Pour aller plus loin : TGI Paris, CIVI, 21 juin 2013, Gaz. Pal. 23-24 oct. 2013, p. 9 note. G. Poissonnier ; Cass, Civ. 2ème, 28 mars 2013, n°11-18025 ; CA Paris, 18 sept. 1998, n°97/00957.
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