Etre ou ne pas être prolétaire ? That is the question ?

Être ou ne pas être prolétaire ? That is the question !
André Jaeglé
Colloque « Le GNC 4 x vingt ans »
3 octobre 2017
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Le texte qui suit est la mise au net et le développement d’une intervention orale faite au cours de la Table ronde inscrite au programme du colloque. Le sujet de la table ronde était : « L’histoire des différentes catégories dans l’entreprise et l’évolution de la notion de classe ouvrière »
En ce temps-là, les ICTAM n’existaient pas. Il n’empêche que le mot ingénieur s’applique aujourd’hui à des métiers connus depuis l’antiquité. Le mot « cadre » est beaucoup plus récent et bien des langues ne possèdent pas son exact équivalent. On a formé des techniciens supérieurs bien avant de les nommer ainsi. Nous verrons sans surprise, en cours de route, que les agents de maîtrise ont des ancêtres au 19ème siècle connus, eux aussi, sous un autre nom, les tâcherons. On ne s’étonnera donc pas de rencontrer, selon le contexte, les sigles I & C, ou ICT, ou encore ICTAM. Pour bien faire il faudrait ajouter quelques professions « assimilées » à la catégorie ICTAM, lorsqu’il s’agit du travail syndical : médecins salariés, VRP, assistants sociaux et assistantes sociales et d’autres encore. Mais ICTAMA, cela sonne mal. Les « assimilés » s’unissent donc à nous, en pensée seulement.

I. Quelques jalons le long de la formation de la catégorie ICTAM

Il y a mille façons de « périodiser » l’histoire des ICTAM. Tout dépend de ce sur quoi on veut mettre l’accent. Le thème général de cette table ronde (et de tout le colloque) étant de situer l’histoire de cette catégorie dans un débat plus général sur la notion de classe ouvrière, un regard plus appuyé s’impose sur l’après deuxième guerre mondiale : c’est alors que la question est devenue un problème et que les solutions sont devenues des enjeux lourds de conséquences à long terme pour le syndicalisme de classe.
En même temps, il nous a semblé intéressant de pousser le plus loin possible l’examen des racines, en remontant à 5000 ans (3000 avant notre ère). Entre cette exploration (un peu pour le plaisir, reconnaissons-le) et la période d’après-guerre, on ne peut éviter de réserver un place à l’incubation et aux premiers signes annonciateurs d’une réalité devenue aveuglante, même si tous n’y prêtent pas l’attention qui s’impose !
A. Le dix-neuvième siècle… et avant
Dans l’antiquité
Les archéologues ont mis au jour des tablettes d’argile sur lesquelles apparaissent, dès l’époque sumérienne (IIIe millénaire avant notre ère), des listes de carrés ou de cubes de nombres mis en correspondance, et dans lesquelles on peut voir une forme archaïque de la notion actuelle de fonction. Ces tables permettaient de calculer les surfaces et les volumes, mais aussi la résolution d’équations du 1er et du 2e degré. Les mathématiciens mésopotamiens donnaient à  (pi) la valeur approchée 3. La relation, dite de Pythagore, entre le carré de l’hypoténuse et la somme des carrés des côtés d’un triangle rectangle leur était connue, à défaut d’avoir su la démontrer .
Le savoir-faire des artisans de l’époque était prodigieusement développé dans de nombreux domaines : matériaux, outils, transports, construction, architecture. On pense que la roue a été inventée il y a 3500 ans. La combinaison, chez un même individu, d’un savoir théorique (notamment mathématique) et d’un savoir-faire personnel dans une multiplicité de domaines manuels marque sans doute la première différenciation donnant naissance à ce qui deviendra, des siècles plus tard, une catégorie sociale.
Le mot « ingénieur » apparaît aux environs de 1155 pour désigner les constructeurs d’engin de guerre . Archimède (287-212 av. J.-C.) en fut donc un, par excellence, quelle que soit la part de légende dans l’affaire des miroirs destinés à enflammer les navires romains assiégeant Syracuse. Le lieu n’est pas ici de faire la liste de ses réalisations. Léonard de Vinci entrerait dans la catégorie ingénieurs d’études chargés de concevoir des prototypes. François 1er était peut-être au courant, mais certainement pas dans ces termes !
Les écoles d’ingénieurs
Il est de bon ton, aujourd’hui encore, en France, d’opposer les grandes écoles, dont le recrutement est sélectif, aux formations universitaires ouvertes à tous les bacheliers. Prenons acte de ce regard démocratique ! Mais si l’on porte un regard diachronique sur l’apparition des écoles d’ingénieurs, on se convainc rapidement qu’il s’agit d’une réalité profondément ancrée dans l’histoire de la nation française et du renforcement de son État central. Voyez seulement :
Le Collège maritime des Accoules est créé en 1571. Il deviendra l’École nationale de la marine marchande de Marseille. L’École des ingénieurs constructeurs des vaisseaux royaux est créée en 1741. L’École royale des ponts et chaussées est créée en 1747. La Grande Encyclopédie nous offre en 1765 une classification distinguant les ingénieurs militaires, les ingénieurs de la marine et les ingénieurs civils pour les ponts et chaussées.
1780 : c’est la fondation de l’École des enfants de l’armée, qui deviendra l’École nationale des arts et métiers. Le diplôme d’ingénieur A. & M. a été créé en 1907 . Citons encore l’École royale forestière née en 1824 et devenue l’École nationale des eaux et forêts. Cette liste est incomplète.
Il s’agit jusqu’ici d’ingénieurs formés pour les besoins de ce qu’on n’appelle pas encore les « services publics ». L’École nationale d’administration ne verra le jour qu’en 1945. Reconnaissons cependant à Hippolite Lazare Carnot (le fils du Grand Carnot) le mérite d’en avoir eu l’idée en 1848.
Et nous arrivons à l’année 1829 : École centrale des arts et manufactures. Il s’agit désormais de répondre aussi aux besoins de l’industrie. Ce n’était pas la seule voie : ainsi, en Alsace, les fils de la bourgeoisie se préparaient à gérer la manufacture familiale en accomplissant une série de stages en Suisse, notamment à Bâle, à deux pas de Mulhouse, ou en France .
Les inventeurs
« Laissez-nous bien travailler » s’écrient Marie-José Kotlicki et Jean-François Bolzinger dans le titre de leur dernier livre. Cela fut probablement la prière silencieuse ou la plainte désespérée d’une multitude d’ingénieurs, diplômés ou non, réels ou virtuels mais témoins indiscutables de la formation de la « catégorie sociale » ingénieurs.
Ainsi Thimonnier pour la machine à coudre ou Nièpce l’inventeur de la photographie et Daguerre (son « commercialisateur »). Ils n’entrent pas en scène en tant qu’Ictam. Ni en tant que salariés. C’est une catégorie en formation à partir d’histoires individuelles. Clément Ader n’est pas seulement le concepteur de l’avion. Il faut mettre à son actif un vélocipède, un pose-rail, un téléphone et d’autres choses qu’on n’appelait pas encore des innovations.
Cela c’est pour le réel. Pour le virtuel nous avons Balzac avec « Les illusions perdues », « César Birotteau »… Et voici Jules Verne, enchantement de notre jeunesse ! (« Les 500 millions de la Begum », « L’invasion de la mer », etc. etc. ). Et encore ceci : dans le film français « Ridicule » de Patrice Leconte (1996), Grégoire Ponceludon de Malavoy, jeune aristocrate, se rend à la cour de Louis XVI à Versailles afin d’obtenir les moyens d’assécher les marais de la Dombes, sa région natale.
L’inventeur est un individu qui veut tirer parti de son invention… mais a besoin d’un financeur.
Les associations à vocation professionnelle et plus ou moins syndicale et/ou sociale
La fonction d’ingénieur ne tarde pas à construire son existence collective. Les ingénieurs issus de l’École centrale des arts et manufactures fondent la Société des ingénieurs civils en 1848. Nous avons le Syndicat des chimistes et essayeurs de France en 86, le Syndicat professionnel des industries électriques en 92, le Syndicat professionnel des industries chimiques en 92 aussi, puis la Société française des ingénieurs coloniaux en 95.
Passons au 20ème siècle. L’Union sociale des ingénieurs catholiques est fondée en 1906, le Syndicat des produits chimiques en 1912. Au lendemain de la Grande guerre, en 1919, la dimension « de classe » se précise avec l’Union syndicale des techniciens de l’industrie, du commerce et de l’agriculture (USTICA). En 1920 se crée la Confédération des travailleurs intellectuels (CTI). Nous entrons dans une nouvelle phase historique.
Les tâcherons
On se fait à tort une idée homogène du prolétariat du 19ème siècle. Claude Didry, dans son ouvrage « L’institution du travail », montre comment le Code civil de 1804 définit juridiquement le « louage d’ouvrage » et en distingue trois sortes : « le louage des domestiques et ouvriers, celui des voituriers par eau et par terre et celui des entrepreneurs d’ouvrage par devis et marchés ».
Le Code civil rapproche donc les ouvriers des domestiques. En revanche, dans le cas des entrepreneurs d’ouvrage par devis et marchés, il introduit la notion de responsabilité de l’ouvrier à l’égard de cet ouvrage selon qu’il fournisse ou non la matière . Est aussi considérée dans cette même partie du Code civil la responsabilité conjointe des « architectes et entrepreneurs », le paiement de l’« ouvrier » par un « maître ». Claude Didry cite encore le cas de la responsabilité de l’« entrepreneur » des faits de ceux qu’il emploie. Et encore cet article du code de 1804 : « Les maçons, charpentiers, serruriers et autres ouvriers qui font directement des marchés à prix faits sont astreints aux règles prescrites dans la présente section ; ils sont entrepreneurs en ce qu’ils font . »
La phraséologie juridique du début du 18ème siècle est certes déroutante et notre lecture de chaque phrase nous renvoie à un contexte langagier qu’il nous faut tenter de reconstruire mentalement. Mais qui ne reconnaît dans ces extraits les premières traces de problématiques modernes et, particulièrement, la localisation de la responsabilité en fonction de la place exacte de la personne dans le processus de production ? Et l’adverbe « directement » n’annonce-t-il pas la question de la sous-traitance ?
À partir de 1806 apparaissent les conseils de prud’hommes à propos desquels les décrets de création stipulent : « Nul ne sera justiciable des conseils de prud’hommes, s’il n’est marchand-fabricant, chef d’atelier, contremaître, teinturier, ouvrier, compagnon ou apprenti ». On le voit, les mots existent désormais pour désigner les fonctions. Si la loi les emploie, c’est qu’ils ont une signification plus ou moins stabilisée depuis un certain temps. Claude Didry reproduit les précisions suivantes :
« Le marchand ou négociant-fabricant est celui qui, propriétaire de machines, métiers et ustensiles, proprié¬taire des matières premières, des dessins, des modèles et des procédés de fabrication, fait confectionner, soit dans ses ateliers, soit en dehors, par des chefs d’atelier ou des ouvriers qu’il paie, les objets qu’il livre ensuite au commerce.
« Le chef d’atelier est un entrepreneur d’ouvrages à façon qui, recevant les matières premières du marchand-fabricant, a chez soi un atelier et des ouvriers pour les y confectionner. On peut ajouter : ou qui fait marcher un ou plusieurs métiers chez le fabricant.
« Le contremaître est celui qui dirige les ouvriers d’une fabrique pour le compte du fabricant ; c’est l’ouvrier principal.
[…].
« Quant à l’ouvrier patenté, “c’est celui qui travaille chez soi pour des fabricants la matière première à élaborer, les dessins ou modèles à suivre, même sans compagnon, enseigne ni boutique” (loi du 1er brumaire an VII). Il reçoit des fabricants la matière première à élaborer, les dessins ou modèles à suivre, et souvent tout ou partie des outils et instruments qui servent à la fabrication. Semblable au fabricant, il a quelquefois sous ses ordres plusieurs ouvriers à façon. »
Telles sont les premières racines de ce qu’on ne tardera pas à désigner comme étant des « tacherons ». Claude Didry caractérise le louage d’ouvrage comme une « coupure entre deux transactions qui s’enchainent : la première entre un donneur d’ordre attaché au négoce et un preneur d’ouvrage, la seconde entre ce dernier et ceux qu’il engage à son tour pour réaliser l’ouvrage ». Le preneur d’ouvrage peut travailler à domicile avec sa famille ou en distribuant l’ouvrage dans son entourage. Mais, au fur et à mesure de la croissance industrielle, il travaillera de plus en plus en usine, sous l’autorité d’un directeur, tout en poursuivant sa propre relation avec ses ouvriers. C’est ce qu’on appellera le marchandage ou tâcheronnat qui désigneront principalement, écrit Claude Didery « …moins l’exploitation ouvrière par un “patron” que l’exploitation des ouvriers par d’autres ouvriers… ». Des ouvriers, faut-il le préciser, recrutés par l’ouvrier preneur d’ouvrage, en fait salarié du premier niveau. La révolution de février 1848 abolira le marchandage, ce qui ne l’empêchera pas de se perpétuer presque jusqu’à la fin du 19ème siècle.
B. De la fin du 19ème à 1945
L’industrialisation du pays se poursuit et le monde salarial l’aborde avec un début d’expérience syndicale. L’entrée des ICTAM dans le camp des salariés syndiqués sera à l’ordre du jour.
L’USTICA évolue, devient l’UST , puis l’USTEI et affirme son caractère syndical. Une section syndicale de dessinateurs se transforme en syndicat agissant pour des revendications professionnelles . La Confédération des travailleurs intellectuels n’est pas une organisation syndicale, mais coopère avec la CGTU notamment à propos des brevets d’invention, du statut de la radiodiffusion, et de la durée du travail .
Bref, ces salariés s’affirment en tant que catégorie de salariés. La victoire électorale du Front populaire en 1936, puis les grèves de mai-juin interpellent la catégorie : les ICTAM ont des revendications. Ils veulent être « dans le coup ». Une fédération des dessinateurs s’affilie à la CGT réunifiée. C’est alors que se posera la question des structures, loin d’être anodine. Les ICTAM, ce n’est pas une branche d’industrie. C’est un ensemble de métiers, en attendant de signifier, beaucoup plus tard, une place et un niveau de responsabilité dans le processus de production. Mais la CGT, elle, n’est pas structurée par métiers. Elle est organisée en fédérations d’industries. Il faudrait pour les ICTAM une fédération qui ne soit pas une fédération : une fédération parce qu’ils ont leurs problèmes à eux et qu’ils ne croient pas possible de traiter ces problèmes dans les structures existantes ; mais pas une fédération à côté des autres fédérations car, en face, il y a les mêmes structures patronales, et c’est avec elles qu’on négocie, ce qui exige un rapport de forces donc une étroite coordination.
Il y a certes des exceptions, comme la Fédération des officiers de la marine marchande, côte à côte avec la Fédération des gens de mer. Il y a aussi la Fédération des VRP qui vient de se créer et n’aura de cesse qu’elle n’ait obtenue un statut professionnel (loi du 18 juillet 1937). Mais la réponse durable viendra des Fédérations de deux grandes branches : l’électricité et la métallurgie.
La création du GNC, cette année-là, est voulue par la direction ouvrière du syndicat. Marcel Paul, alors secrétaire général de la Fédération des services publics et de l’éclairage, voyait loin. Comme son camarade Croizat.
Ce dernier est connu comme le fondateur de la Sécurité sociale, mais il était aussi, en 1937, le secrétaire général de la Fédération Cgt des ouvriers des métaux. Une Union syndicale des techniciens de l’aviation (USTA) fondée en juin 1936, et comptant 3 000 adhérents manifeste le souhait d’adhérer à cette Fédération. Elle était jusque-là directement rattachée à la Cgt. Comment faire ?
« Ambroise Croizat, secrétaire général de la Fédération des Métaux, exposa le point de vue de son organisation qui voulait que les techniciens soient groupés par sections nationales en adhérant aux fédérations d’industrie correspondantes, tout en étant d’accord pour laisser subsister dans les usines et les localités un syndicat d’ouvriers et un syndicat de techniciens de la même branche d’industrie. Après avoir demandé certaines explications à la Fédération des techniciens, notamment en ce qui concerne son attitude envers le Syndicat national des techniciens de l’aviation, notre camarade Croizat marqua la nécessité de coordonner l’action syndicale entre les ouvriers et les techniciens et d’obliger la Fédération des techniciens à se conformer, dans l’intérêt de tous, aux décisions prises . »
Ainsi, dans deux grandes fédérations syndicales, la spécificité de structure s’installe. Elle sera appelée à se préciser et se développer. Mais dans l’immédiat, on assiste à un rapide affaiblissement des organisations syndicales I & C. La deuxième guerre mondiale approche en dépit des avertissements de citoyens lucides. Ce demi-siècle restera aussi celui de deux guerres mondiales, une boucherie franco-allemande suivie, vingt et quelques années plus tard, d’une boucherie encore plus étendue, d’un génocide, et l’arme atomique. Pour le sujet qui nous occupe signalons seulement la « Charte du travail », promulguée le 4 octobre 1941 par le gouvernement de Vichy. Traitant des organisations professionnelles elle indique en son article 10 que les syndicats professionnels sont constitués par catégories distinctes de membres. Sont considérés comme pouvant former une catégorie distincte : les employeurs, les ouvriers, les employés, les agents de maîtrise, et enfin les ingénieurs, cadres administratifs et commerciaux. On passe donc d’une émergence sociale à une existence juridique de la « catégorie ICTAM ». Il est plus intéressant rappeler que certains des militants I & C de l’époque entrèrent dans la résistance au côté d’autres non syndiqués et fondèrent l’UNITEC qui a existé jusqu’aux années 1960. Ces militants seront en première ligne pour la relance du syndicalisme cadre CGT, à la Libération.
C. La CGT syndicat de tous les salariés, les Ictam et la notion de spécificité
Dans une approche syndicale plutôt que sociologique, nous distinguerons 3 étapes dont la caractérisation paraît inséparable de la prise en charge des revendications par la CGT.
1. 1946 : la chose sans le mot
Dès le lendemain de la guerre, la Cgt réunifiée se veut le syndicat de tous les salariés. Ainsi, dans son rapport d’ouverture au 26ème congrès confédéral (avril 1946), Benoît Frachon signale « l’entrée dans une opposition active de catégories non prolétariennes de la population laborieuse, mécontentes et entrainées par l’élan de la classe ouvrière . »
Cela apparaît dans des passages significatifs du rapport à propos des défis qu’il faut relever parmi d’autres dans la construction d’une politique. S’agissant des salaires, pour ne citer qu’un exemple, on reconnaît « qu’il est difficile d’établir une classification professionnelle pour les agents de maîtrise, techniciens, ingénieurs et cadres. La CGT a donc décidé de laisser les commissions professionnelles établir leur propre classification et de limiter à cet égard le rôle de la Commission nationale à surveiller et à hâter le travail des commissions d’industrie ». La catégorie « I & C » en tant que telle est donc reconnue au niveau confédéral par le fait qu’on ne peut pas la traiter de la même façon que les ouvriers, d’où la création du Cartel confédéral en des cadres qui deviendra l’UGIC en 1948. Mais, au même moment, la CGT se trouve placée devant le refus de la CFTC d’aller vers une réunification syndicale. Benoît Frachon en conclut qu’il faut se tourner vers la base : « une seule section syndicale par entreprise ». On trouve là, peut-être, l’une des racines – certainement pas la seule – de la répugnance durable à la création d’organisations spécifiques : l’espoir de la réunification. Oui, mais sur quelles bases ?
Par ailleurs, le 26ème congrès procède à une sorte d’état des lieux où quelques fédérations exposent des problèmes particuliers aux ingénieurs et cadres, et mentionnent l’existence en leur sein d’une organisation propre à cette catégorie : Métallurgie : les Ictam « contestent la mise en ordre des salaires » ; Papier-Carton : existence d’un « important syndicat national de cadres et techniciens » ; Sous-sol : l’exigence d’une « véritable nationalisation [devant permettre] aux mineurs, techniciens et cadres de participer à la gestion » ; Transports : discussion sur les salaires des Ictam . La Fédération de l’éclairage et des forces motrices annonce l’existence d’« un puissant syndicat des cadres et agents de maîtrise qui groupe 8000 adhérents sur les 10000 existant dans les industries du gaz et de l’électricité » ; la Fédération nationale des industries chimiques dénonce la lutte [du patronat] contre « la remise en ordre des appointements des employés, ingénieurs et cadres » et pose la question du « perfectionnement professionnel ».
On lit, dans la résolution du congrès consacrée aux structures, que : « Aucune structure rigide ne peut résoudre tous les problèmes qui se posent au mouvement. S’il y a lieu de la rationaliser quant à la composition industrielle et géographique des syndicats, pour lui donner une structure harmonieuse qu’il est loin d’avoir, il doit conserver la souplesse vivante dont dépendent sa vie et son destin . » Une « Annexe spéciale au rapport d’activité » s’intitule « le Mouvement des Ingénieurs et Cadres ». On y trouve une définition du rôle du Cartel confédéral des Cadres (C.C.C.) « organisme de liaison entre les différents syndicats nationaux et seize cartels départementaux . »
La consultation de « Travail et technique », publication du Cartel confédéral des cadres puis de l’UGIC, nous éclaire sur les questions dont se saisit l’Organisation spécifique des I & C : la hiérarchie des salaires, laquelle donne lieu à un débat interne à la Confédération ; les retraites, avec la création de l’Agirc, dont nous pourrions dire aujourd’hui qu’être force de proposition, pour l’UGIC, ce n’était pas un vain mot ; mais aussi la responsabilité en matière d’accidents du travail ; la reconstruction (nous sommes au lendemain de la guerre) ; les questions économiques, évidemment.
Or voici qu’un autre problème se pose lorsque la question dite de « la discipline syndicale » est soulevée du fait de la non-participation d’I & C syndiqués aux ordres de grèves lancés par la CGT, notamment en novembre 1947. Il ne suffira évidemment pas de transformer le Cartel confédéral en Union générale pour résoudre le problème. Car il ne s’agissait pas d’une meilleure coordination comme on a voulu l’espérer à l’époque mais de l’émergence d’une question générale et fondamentale dont on ne savait pas encore qu’elle deviendrait la grande question « démocratie syndicale /démocratie ouvrière ». Les I & C n’étaient pas les seuls concernés. Mais la question n’était pas mûre. Et deux obstacles sont venus contrarier le développement d’une CGT de vraiment tous les salariés. D‘abord la guerre froide et la phase de répression qui l’a accompagnée : il a très vite été difficile dès 1947 de s’afficher cadre adhérent, et pire encore militant, à la Cgt. Il faudra attendre les années 60 pour que change la situation. Deuxièmement, il nous faut porter un regard sur un courant d’idées méritant réflexion.
2. Le sens des mots
Le moment est en effet venu de rappeler que notre sujet est « L’histoire des différentes catégories dans l’entreprise et l’évolution de la notion de classe ouvrière ». Nous sommes en présence de l’un des nœuds de la question : qu’est-ce que la classe ouvrière ? Comment cette notion évolue-t-elle ?
Lorsqu’au sortir de la guerre, en 1945, la CGT forte du rôle joué par ses dirigeants dans la Résistance, reprit son activité au grand jour, les ICTAM, on l’a vu, ne furent pas oubliés. Mais la composition sociale du salariat ne cessait d’évoluer et, avec elle, la situation sociale des travailleurs et notamment celle des ICTAM en voie d’accroissement numérique. L’opposition à l’écrasement de la hiérarchie des salaires est, à ce moment-là, de loin la revendication la plus criante des I & C. Bien que soutenant des solutions différentes, toutes les organisations syndicales de cadres s’accordent sur ce point. Des sociologues ont commencé à s’intéresser à l’accroissement numérique de cette nouvelle catégorie, et à la pression sur le niveau des salaires qui a accompagné cette évolution. On a caractérisé le phénomène en le désignant comme une prolétarisation des I & C, ce qui induisait l’idée d’un rapprochement avec la situation ouvrière. Or la « notion » de classe ouvrière n’est pas seulement un sujet de sociologie. C’est aussi un facteur du débat politique. L’enjeu du devenir de la classe ouvrière, de sa disparition prédite par les uns, déniée par les autres, n’est ni plus ni moins que le rôle reconnu aux organisations syndicales ou politiques qui se réclament de la classe ouvrière et aux stratégies de lutte qui s’y rattachent.
L’analyse marxiste attribue au prolétariat une fonction historique révolutionnaire en raison de sa place dans la production et de la nature irréductible de la contradiction d’intérêts, elle-même sous-tendue par la contradiction fondamentale forces productives / rapports de production. Dans le langage courant on identifie classes laborieuses et prolétariat. Dans le même temps on fait de la situation des classes laborieuses (ou du prolétariat) une sorte repère dans une échelle de mesure d’un « degré de prolétarisation ». Le concept de prolétarisation, perdant de vue ses racines et, avec elles, la plupart de ses déterminations, s’identifie à son tour à la baisse des conditions matérielles. Cela ne constitue pas une analyse de la place de telle ou telle catégorie dans les rapports de productions, lesquels ont évolué depuis Marx. Un pas de plus, et l’on s’est mis à puiser chez Marx la notion de forces productives directes, censées induire une contradiction capital/travail chimiquement pure, donc une assignation révolutionnaire exempte de toute faille.
La reconnaissance d’une prolétarisation des I & C pouvait passer pour la démonstration que la classe ouvrière n’était pas promise à la disparition du fait de la réduction supposée de ses effectifs. On mesure l’enjeu d’une telle question dans un débat profondément marqué par l’éclairage marxiste sur le rôle historique de la classe ouvrière, celui de transformation radicale de la société. La tentation était forte d’appeler à la rescousse « les ICT en voie de prolétarisation. » Comme la démonstration est malgré tout peu convaincante, on a parfois cru pouvoir la limiter à une soi-disant catégorie, les ingénieurs de production.
Il n’est pas dans notre intention de faire l’analyse détaillée, références à l’appui, des tenants et aboutissants de ce débat, mais seulement de le caractériser. Ce courant d’idées non dénué de « bonnes intentions » du point de vue de la lutte des classes, a accrédité l’opinion qu’il n’était plus nécessaire d’avoir une organisation particulière, au sein de la CGT, pour les cadres. Il suffit pourtant d’être soi-même cadre ou ingénieur pour être convaincu de cette nécessité, sauf à renoncer à une partie de ses fonctions. En sociologie comme en tout domaine scientifique, il est toujours risqué de se fixer comme but de prouver la justesse d’une conclusion fixée par avance . En définitive, il ne s’agit plus de l’histoire des catégories mais de l’histoire des idées plus précisément de l’histoire d’une bataille d’idées
3. 1963 : La chose et le mot
La refondation de l’Ugic appelle une structure originale. On décide de la doter de statuts. Il n’y avait jusqu’alors qu’un organigramme. Plus encore que la désignation « organisation spécifique » dont l’emploi se généralise, c’est le slogan « en adhérant à la Cgt un cadre ne se mutile pas » qui marque avec force la rupture avec une conception rigide de ce que signifie l’adhésion à un syndicalisme « de classe » et annonce qu’il entendra être aussi un syndicalisme « démocratique et de masse ». Chacun, militants ouvriers comme militants cadres, doit donc se mettre dans la tête « la notion » que le boulot d’un cadre ce n’est pas celui d’un ouvrier et que les deux peuvent même entrer en conflit.
De 1963, date de la Conférence nationale de la CGT qui décidera de la rénovation de l’Ugic, à 1965, date de son congrès constitutif, puis à 1968 qui fut en quelque sorte l’épreuve du feu, l’Ugic construit à marche forcée sa plateforme revendicative et « produit » des postions spécifiques sur tout ce qui touche les ICTAM. La revendication d’une grille unique de salaires du manœuvre à l’ingénieur figure évidemment en tête de la plateforme. Le temps de travail n’est pas encore la question du forfait jour, mais c’est déjà clairement l’expression d’une d’autonomie nécessaire ; rien ne montrait mieux ce qui distinguait les I & C de la condition ouvrière : ils ne pointent pas (pas tous, du moins). L’Ugic, puis l’Ugict, une fois venus les techniciens, se fit entendre (sans succès) sur la question des inventeurs salariés. On rechercha, avec la Bureau confédéral, la possibilité de sections propres aux I & C au sein des conseils prudhommaux. Enfin, la nécessité absolue d’introduire dans un parcours professionnel le temps de la mise à jour et du développement des connaissances conduisit l’Ugic à lancer l’idée totalement novatrice d’un droit pour tous à la formation sur le temps de travail, sans perte de salaire, évaluant le besoin à 10 % du temps de travail. Lorsque de premières avancées se produisirent dans ce domaine après 1968, suite aux négociations avec le patronat et aux lois des années 70 sur la formation professionnelle, une réprobation se manifesta contre le fait que les sommes consacrées à la formation permanente allaient davantage vers les ICTAM que vers les ouvriers qui en avaient pourtant le plus besoin. Réprobation légitime, ou pour le moins compréhensible, mais qui reflétait cette contradiction : les ICTAM étaient bien des salariés mais pas une composante de la classe ouvrière. Ils étaient le « produit » d’une formation intégrant (comme il y a 5 000 ans !) un savoir théorique et un apprentissage professionnel. Le problème de la fusion du travail manuel et du travail intellectuel était posé mais pas encore résolu !
C’est dans cette période que se pose une question dont on ne devinait pas à l’époque, l’importance qu’elle devait prendre ces dernières années : fallait-il soutenir la revendication de la création d’un statut de cadre ? La Confédération générale des cadres liait cette demande à la « notion » de cadres comme catégorie intermédiaire entre le patronat et les ouvriers, ce qui n’était évidemment pas la conception de l’Ugic. Parmi toutes les raisons de ne pas se ranger derrière cette revendication, il y en avait une qui n’était en rien théorique ni sociologique : c’était la position des syndicats Cgt des I & C du secteur privé en faveur d’une « grille unique de salaires du manœuvre à l’ingénieur » dans les conventions collectives. Cette position avait été formulée, dès l’après-guerre, comme forme de lutte contre l’écrasement de la hiérarchie des salaires. Il n’est pas un numéro de « Travail et technique » qui ne le rappelle. Demander un statut de cadre revenait à renoncer à la grille unique. L’affaire disparut des écrans radar. Mais l’histoire n’était pas finie !
D. La place des ICTAM dans la production
Les mutations industrielles qui, dès les années 50, s’accompagnèrent d’une transformation de la composition du salariat (les fameuses trente glorieuses) donnèrent naissance à un nouveau type de revendications. Il ne s’agit plus de reconnaître seulement la spécificité du cas des ICTAM, mais aussi la nécessité d’une diversification des réponses aux problèmes revendicatifs en général. Les « deux notions », spécificité et diversification sont souvent confondues, aujourd’hui encore. Dès le Congrès confédéral de 1992, on critique le « généralisme » Un salarié n’est pas seulement un exploité en général. Il a des revendications particulières, parfois individuelles mais le plus souvent communes à une catégorie. Le nécessité de la diversification s’est évidemment posée aussi à l’intérieur de l’organisation spécifique qu’était l’Ugict, les ingénieurs d’un côté, les techniciens de l’autre, etc. Cette question commencé à se poser dans les années 70 en réaction aux tentatives patronales de remplacer la notion de qualification par celle de poste de travail. Voici comment Alain Obadia analyse le problème dans son rapport au 9ème congrès de l’Ugict en 1985. Il demande plus de diversité dans les règles sociales, tout en sauvegardant les garanties collectives et se félicite du rejet, en 1984, d’un projet patronal d’accord sur la flexibilité :
« Mais, en même temps, cela suppose de ne pas nous fragiliser nous-mêmes en tombant dans les pièges qui nous sont tendus et en prêtant le flanc à ceux qui veulent nous faire passer pour les partisans de l’uniformité face à des patrons qui lèveraient très haut le drapeau de l’adaptation aux besoins. Non ! Nous devons montrer, et nous le pouvons, qu’il y a des solutions possibles dans la plupart des cas dans l’état actuel de la législation pour s’adapter à la diversité des besoins et des salariés. Parfois, ces solutions peuvent conduire à des modifications de la réglementation, mais le problème posé est le suivant : est-ce que ces modifications se traduisent par un progrès social, par un plus pour les salariés, ou, au contraire, par une régression ? Nous disons avec force, on peut aboutir à une plus grande diversité dans les règles sociales tout en sauvegardant, voire en améliorant le niveau des garanties collectives. Le vrai débat, c’est celui-là et nous pouvons être offensifs. A partir de l’expérience de ces derniers mois, cela doit être un des thèmes importants de notre discussion. »
[…]
« Par exemple, en ce qui concerne les problèmes de la durée du travail, qui est une question délicate que j’aborde volontairement, il est clair que le patronat veut se servir des cadres pour aboutir à sa conception de la flexibilité en la matière. Il nous faut repousser avec force cette tentative et bien tenir la ligne que nous avons définie globalement. En même temps, pour les cadres eux-mêmes, nous devons bien avoir conscience que la durée hebdomadaire du travail est un concept totalement abstrait. C’est dans cet esprit que nous avançons des revendications adaptées. Tenant compte : a) des charges de travail, b) des modalités de récupération des dépassements d’horaires moyens.
« Mais l’inquiétude des ingénieurs, cadres et techniciens porte aussi sur des questions qui tournent autour de la nature du travail et d’abord des problèmes de la qualification. Là encore, la politique de flexibilité tente de revenir sur toute notion d’objectivité en la matière. Là encore, nos propositions peuvent permettre de résister et d’avancer vers une reconnaissance effective de la qualification dans les classifications. C’est, d’ailleurs, un problème très sensible parmi nos catégories, notamment parmi les techniciens. Problème très sensible parce qu’il a sa traduction au niveau du pouvoir d’achat mais aussi au niveau du contenu du travail et de l’efficacité de l’entreprise . »

II Le statut de l’encadrement

C’est peu de dire que la notion de classe ouvrière est en constante évolution depuis le contrat de louage jusqu’à la généralisation par étapes, au cours des années vingt, du code du travail où est défini le contrat de travail . Elle est aussi en constante diversification. La diversification, répétons-le, ne doit pas être confondue avec le problème de la spécificité, ce que traduit avec force la revendication moderne d’un « Statut de l’encadrement ».
Une nouvelle étape :
Traditionnellement, on est « cadre » soit parce qu’on a un diplôme délivré par une école d’ingénieur et reconnu par la Commission du titre d’ingénieur, soit parce que l’employeur accorde cette classification à l’intéressé, soit du fait qu’on cotise à l’Agirc. Ces critères sont liés les uns aux autres. Dans la fonction publique on est cadre A par recrutement sur concours externe ou interne, ou par développement de carrière. Les fonctions occupées dans l’entreprise ou le service public par ces cadres incluent le plus souvent une fonction de commandement impliquant la responsabilité de réaliser les objectifs de l’employeur..
Toute confusion entre le cadre et l’ouvrier est impossible dans ces conditions, quel que soit le regard porté sur cette relation par le sociologue, l’historien ou le syndicaliste. Mais, nous l’avons dit, une évolution rapide est en cours dès les années 50… et se poursuit à l’heure actuelle. Le niveau technico-scientifique de l’ingénieur implique moins qu’auparavant l’exercice d’un commandement. On voit apparaître, venue du monde anglo-saxon, la distinction manager/spécialiste.
En France, l’accord du 25 avril 1983 prend acte de cette évolution en constatant que : « La complexité de l’appareil de production, le développement économique, l’introduction de nouvelles techniques et l’évolution sociale ont entrainé une croissance rapide de l’importance du personnel d’encadrement et une extension du domaine de son action et des responsabilités qu’il doit assumer. Celles-ci justifient que soient adoptées voire aménagées des dispositions conventionnelles répondant aux problèmes de ce personnel. » La question d’un statut de l’encadrement, mise de côté pour un temps par l’UGIC, revient à l’ordre du jour.
Le changement n’a pas lieu du seul côté du monde salarial. La mondialisation à bride abattue, depuis le passage de Margaret Thatcher et Ronald Reagan à la tête de leurs pays respectifs, aboutit à ce qu’on connaît aujourd’hui : une concentration inouïe du capital financier. Les termes de la contradiction force-productive / rapports de production changent eux aussi, au point que le directeur d’une PME est autant cadre que patron au sens traditionnel, même s’il est vécu comme tel par au moins une partie des salariés. Ce n’est pas lui le propriétaire des moyens de production. Mais il n’occupe ce poste qu’à la condition de satisfaire aux exigences des vrais propriétaires… ceux qui financent.
Les fonctions d’encadrement s’en trouvent bouleversées : d’un côté apparaissent ceux que Marie-Anne Dujarier appelle les planeurs, mandatés pour améliorer les performances des entreprises et des services publics au moyen de plans élaborés dans l’ignorance – parfois même dans une indifférence assumée – par rapport à la réalité du travail de terrain ; de l’autre côté, les cadres de toutes spécialités dont la fonction est de réaliser… mais réaliser quoi ? Les objectifs abstraits de plans élaborés sans qu’ils aient été consultés et parfois sans rapport avec la réalité, celle qu’ils vivent .
Des revendications nouvelles accompagnent ce changement de situation. L’Ugict les rassemble dans une « Charte pour l’encadrement » publiée en 2009 dont voici la présentation :
« Etre cadre aujourd’hui, consiste de plus en plus, à être le porteur et le garant de l’idéologie patronale, à jouer le rôle que les directions d’entreprises tentent de nous imposer, à nous sentir responsable et sans condition, de la mise en œuvre de directives imposées. Nous sommes supposés laisser au vestiaire nos convictions profondes, notre liberté de pensée et d’opinion, nos droits citoyens les plus fondamentaux.
« Au fur et à mesure que les conditions sont créées pour précariser la situation des cadres, l’exigence d’adhésion à la politique de l’entreprise est plus forte. De même que le patronat pousse pour que le contrat de travail passe d’une mise à disposition de moyens pendant un temps donné, à une obligation de résultats quasi-permanente, le glissement s’opère : nous devrions non seulement engager notre savoir-faire au service de l’entreprise mais également « un savoir-être » prédéfini par une charte « éthique » ou un « code de bonne conduite ».
Quelle est cette « éthique » qui vise à priver l’individu de son libre arbitre pour le transformer en exécutant sans aucun droit statutaire ?
Nous nous reconnaissons comme des salariés, au même titre que les autres. Mais nos fonctions, nos niveaux de responsabilités, notre technicité et notre rôle dans l’organisation du travail nous confèrent une spécificité.
La CGT des Cadres et des Techniciens propose un statut de l’encadrement assurant à chacun des droits et libertés garantis collectivement et le plein exercice de ses responsabilité »
La charte décline ensuite les grands axes revendicatifs : 1) Salaires et carrières, 2) Santé au travail, 3) Formation, 4) Rythme de travail, 5) Objectifs et évaluation, 6) Négocier les objectifs et les moyens de la responsabilité, 7) Responsabilité sociale des cadres, ce qui implique de promouvoir l’éthique professionnelle et le sens du travail
Années 2015-2017 : la météorologie socio-politique nous amène la disparition de l’Agirc, la référence la plus solide à la qualité de cadre et aux garanties qui ‘y attachent. L’Ugict n’est pas prise au dépourvu.
Le Wall Street management
Marie-Jo Kotlicki et Jean-François Bolzinger, dirigeants de l’Ugict, placent l’action syndicale sur une position constructive. Ils publient successivement « Pour en finir avec le Wall Street management » en 2009 puis « Laissez-nous bien travailler : manager sans Wall Street » en 2012 ».
« Que faire, disent-ils en présentant ces deux ouvrages, face aux dégâts humains et aux gâchis économiques d’un « Wall Street management » qui s’apparente de plus en plus à une injonction de rendement ? Comment replacer les salariés au cœur de l’entreprise, qu’elle soit publique ou privée ? Comment redonner place à la créativité, à l’innovation et à une efficacité qui soit aussi sociale et environnementale ? Un autre management est-il possible ?
« […] Tout en analysant les systèmes qui ont engendré la crise économique et financière, Marie-José Kotlicki et Jean-François Bolzinger proposent des repères pour un management alternatif. Un management qui conjugue les aspirations des salariés et le travail d’équipe, et remet en cause les dogmes actuels : l’économique aux actionnaires, le social aux DRH et aux syndicats. […] À chaque crise financière, c’est la même recette : pour s’en sortir, les cotisations sociales des entreprises devraient être toujours plus légères, les salariés toujours plus flexibles pour atteindre des objectifs de rendement toujours plus hauts. Qui croit encore aux vertus de ce catéchisme de l’austérité qui fait perdre de vue le sens même du travail et détruit la notion de service public ?
« […] Rendre les organisations flexibles pour que chaque salarié développe ses capacités, donner le droit à tous de participer à l’élaboration de la stratégie des entreprises, imaginer un dialogue social* qui porte aussi sur les choix économiques, se donner le temps de bien travailler, etc., autant de leviers pour inventer une nouvelle compétitivité qui réconcilie l’humain et le bien commun avec l’industrie, le social et l’écologie. »
Statut de l’encadrement
L’Ugict passe de la parole aux actes et publie un Statut de l’encadrement qui marque l’état actuel de la notion d’Ictam en tant que catégorie dans ses relations avec le monde du travail. Le site de Web de l’Ugict nous en donne la philosophie :
« En octobre 2015, CFDT, CFE-CGC et CFTC signent un accord sur les retraites complémentaires AGIRC-ARRCO avec le patronat. La CGT comme FO ne l’ont pas signé et dénoncent d’une part la restriction des droits à retraite et, d’autre part, la disparition de l’AGIRC, l’un des piliers du statut de l’encadrement et son remplacement par un nouveau régime qui équilibrera ses comptes en baissant les prestations
« L’accord AGIRC-ARRCO prévoit une négociation sur la « notion d’encadrement » avant la fin 2016. Pour l’Ugict, cette négociation est déterminante et doit aller bien plus loin que la simple « notion d’encadrement ». L’enjeu est de reconstruire un statut de l’encadrement assurant une reconnaissance de la qualification et des droits pour nous permettre d’exercer notre expertise et notre professionnalisme.
« Le statut de l’encadrement doit être défini au niveau de l’ensemble des branches professionnelles. Pas question que ce soit le patronat, qui, dans l’entreprise ou la branche, puisse décider unilatéralement qui relève ou non de l’encadrement.
« Le périmètre du statut de l’encadrement doit être défini à partir du contenu du travail, des fonctions exercées, du niveau de qualification et de responsabilité. Il doit couvrir la diversité de l’encadrement, et ne peut donc se limiter aux seuls encadrants. L’Ugict-CGT se battra pour que le périmètre soit au moins équivalent à celui des actuels affiliés à l’AGIRC et à ceux qui votent dans le collège cadre.
« Il s’agit d’arrimer les missions des ICTAM à l’intérêt général, gagner la reconnaissance et le paiement de nos qualifications, relancer l’ascenseur social avec de vrais déroulés de carrière, construire le « professionnellement engagés et socialement responsables ».
« […]
« L’Ugict-CGT propose la mise en place d’un droit d’alerte, de refus et d’alternative (dans lequel s’intègrerait un statut pour les lanceurs d’alerte), pour garantir l’exercice du professionnalisme contre le Wall Street management. »
L’Ugict, de longue date étrangère aux postures purement défensives, ne se contente plus de proposer, avec la définition d’un statut de l’encadrement, une perspective d’action constructive. Elle s’intéresse non plus seulement aux acteurs, mais désormais au terrain lui-même de l’affrontement de classe. Ces dernières années, on a vu s’opposer la notion de dialogue social à celle de lutte de classe. Eh bien chiche ! Le dialogue, on est pour. Toute la Cgt est pour ! Encore faut-il savoir à quoi il sert, ce qu’il vaut. L’Ugict relève le défi.
L’entreprise alternative (LEA)
L’Ugict précise ses vues en créant l’Institut L’entreprise alternative (LEA) qui élabore et publie, en coopération avec l’Institut international de l’audit social (IAS) un document de 38 pages intitulé « Le dialogue social dans les entreprises et les organisations ». Ce document se veut un outil d’évaluation de la qualité du dialogue social :
« L’institut LEA a pour ambition de réunir des salariés, des syndicalistes, des employeurs, des responsables des RH, des économistes, des chercheurs et des universitaires qui souhaitent croiser leurs approches, leurs réflexion et leurs expériences sur le concept d’entreprise alternative.
« Avec leurs expériences, et leurs expertises, ils font la démonstration qu’une entreprise se porte mieux économiquement et socialement si elle priorise la hiérarchie des compétences à la hiérarchie du pouvoir dans son organisation et ses modes de gestions.
Il s’agit de repenser l’intervention des salariés dans l’entreprise. La recherche d’alternative au Wall Street Management, pivot d’une gestion au service de la finance, pousse à encourager une conception d’entreprise où les droits d’intervention des salariés, des populations et des différents acteurs sont repensés. Utiliser de façon progressiste les potentialités et notamment la transversalité nouvelle permise par le numérique est également un enjeu de taille. »
Le guide propose un « référentiel de facteurs comprenant 69 facteurs allant de « l’intégration de la dimension RH dans a stratégie de l’entreprise » au « rôle constructif des représentants du personnel » en passant par la « qualité des relations entre la hiérarchie de proximité et les représentants du personnel » Ces facteurs sont groupés en sept familles : Place de la dimension sociétale dans la stratégie de l’entreprise ; Place et dimension des RH dans la politique de l’entreprise ; Qualité de fonctionnement des instances de représentation du personnel ; Reconnaissance du rôle des IRP et possibilité d’évolution professionnelle de leurs représentants ; Information et expression du personnel sur la vie de l’entreprise et sur les enjeux stratégiques ; Implication de l’encadrement dans le dialogue social ; Culture d’entreprise et qualité de mise en œuvre de ses principes ‘exemplarité, respect et civilité).
On nous offre là plus qu’une esquisse des déterminations futures de la notion de « rapport de production ». Nous sommes désormais dans l’actualité, pour ne pas dire dans l’anticipation. Il n’y a aucune raison de considérer que ce soit là une démarche réservée aux « ingénieurs, cadres, techniciens, agents de maîtrises et professions assimilées ». De nombreux facteurs sont en cause.
Rien n’est écrit d’avance
Arrivés au terme de ce parcours historique, toute conclusion définitive serait hasardeuse. « Rien n’est écrit d’avance » proclamera le logo du prochain congrès de l’Ugict (Perpignan, mars 2018). Il n’est pas écrit d’avance que les I & C échapperont à la prolétarisation ou, au contraire se confondront avec le monde ouvrier. Il est beaucoup plus probable que le monde ouvrier, en pleine diversification n’acceptera pas éternellement la situation de précarisation qui prévaut dans la tendance actuelle. Les changements en profondeurs seront ceux qui résulteront d’une aspiration si écrasante dans l’opinion (dans et hors du lieu de travail) que l’affrontement « de classe » sera peut-être perçu par beaucoup comme la victoire du bon sens. Alors, les notions de classe sociales connaîtront un nouveau sort. Surtout dans un pays comme la France où la Raison ne baisse jamais la garde.

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« Histoire générale des techniques, tome 1 », sous la direction de Maurice Daumas, PUF 1962
« Dictionnaire historique de la langue française » sous la direction d’Alain Rey, Les dictionnaires Robert 1993.
Créée en 1780 à Liancourt dans l’Oise par la volonté du duc François de La Rochefoucauld-Liancourt pour éduquer les pupilles de son régiment de cavalerie, avec le concours de Monge, Berthollet, Chaptal et Laplace. Des références solides !
Généalogie de la famille Mieg (bibliothèque privée)
Barthélémy Thimonnier est né à L’Abresle, dans le Rhône, le 19 août 1793. Fils d’un fabricant de cotonnade, il est l’aîné de sept enfants. Il entre au séminaire Saint-Jean à Lyon avant de travailler comme tailleur à Panissières. En 1823, il déménage au lieu-dit Les Forges, près de Saint-Étienne.
L’idée de construire un métier à coudre lui vient progressivement, alors qu’il passe son temps à manier l’aiguille. En 1829, il décide de s’atteler à la fabrication d’une telle machine, qu’il nomme « couseuse à fil continu ». Il demande à Auguste Ferrand, ingénieur des mines, de dessiner les plans de la machine et de faire la demande de dépôt de brevet. Celui-ci est délivré le 17 juillet 1830. La même année, Thimonnier ouvre un atelier de confection à Paris, équipé de 80 de ses machines, afin de produire des uniformes militaires. Mais il s’attire l’hostilité des ouvriers tailleurs qui considèrent que cette invention, plus performante, leur vole leur travail. En 1831, une troupe d’ouvriers saccage son atelier.
Ruiné, Barthélémy Thimonnier s’installe à Amplepuis pour reprendre son activité de tailleur. Parallèlement, il apporte des améliorations à sa machine et dépose de nouveaux brevets. En 1847, il dépose le brevet d’un « cousobrodeur ». Il vend ses droits à une firme anglaise l’année suivante. En 1855, il présente une machine à l’Exposition universelle de Paris et obtient une récompense. Ses couseuses obtiennent en effet de bonnes critiques dans la presse, et leur efficacité est reconnue. Cependant, la profession se révèle méfiante et il ne parvient pas à les vendre. La situation financière de Thimonnier est problématique, il doit reprendre une nouvelle fois son métier de tailleur. Il vit dans la pauvreté jusqu’à sa mort, le 5 juillet 1857, n’ayant pu profiter de son invention. Barthélémy a été le premier à proposer une machine à coudre vraiment efficace. Cet appareil a été développé tout au long du XIXe siècle pour devenir incontournable dans la production industrielle de textile. (Selon Wikipedia)
D’abord publié sous le titre Ève et David, c’est la troisième partie du roman. David, au bout de nombreuses expériences, est parvenu à mettre au point un nouveau procédé de fabrication du papier sur lequel il travaillait depuis longtemps ; mais ses concurrents, les frères Cointet, réussissent à s’emparer du procédé avec la complicité d’un de ses employés. Par des manœuvres frauduleuses, ils réussissent à le mettre en faillite grâce à un effet financier que Lucien avait tiré sur le compte de David en imitant sa signature alors qu’il avait besoin d’argent à Paris. Incapable de payer cette dette, dont le montant a été multiplié par les frais d’avocat, David est mis en prison. Lorsqu’il apprend cette nouvelle lors de son retour dans sa famille, Lucien est accablé de remords devant cette ruine dont il est en grande partie responsable. Ne voyant pas d’avenir devant lui, il décide de se suicider. Alors qu’il cherchait un endroit convenable pour se noyer, un mystérieux abbé espagnol qui passait par là, Carlos Herrera, le convainc de renoncer à ce projet en lui offrant argent, vie de luxe et possibilité de vengeance, à condition qu’il lui obéisse aveuglément. Lucien accepte ce pacte. Il envoie alors à David la somme nécessaire pour sortir de prison et part pour Paris avec l’étrange prêtre. David parvient alors à un accord avec les Cointet, qui exploitent son invention. David et Ève, qui ont hérité une petite fortune du vieux Séchard, se retirent à la campagne, dans le petit village de Marsac, pour y vivre simplement, mais aisément.
Comme souvent dans les romans de Balzac, le sujet a été emprunté à un fait réel, l’auteur ayant pris pour modèle un certain Bully, parfumeur de son état, qui inventa une lotion de toilette vinaigrée à laquelle il donna son nom. L’officine de Bully fut mise à sac lors du soulèvement populaire de 1830 et l’homme fut ruiné. Il passa de longues années à rembourser ses créanciers et mourut dans le plus grand dénuement à l’hôpital.
Balzac y a rajouté une affaire de spéculation, transformant l’histoire en un véritable roman d’aventures, dans lequel César Birotteau est le type même du petit bourgeois des années 1830, pur produit d’une classe sociale avide de reconnaissance, d’honneurs, dont l’ambition est d’accéder aux plus hautes sphères du monde parisien.
Toujours prompt à souligner la cruauté du monde, l’auteur se plaît tout de même à donner une vision émouvante de ce personnage naïf (dont la fin sera moins dure que celle du modèle de départ). Et surtout il met en relief les qualités de courage et de persévérance à travers le généreux Popinot, employé de César Birotteau et son futur gendre. (Wikipedia)
Un Français, le docteur François Sarrasin, et un Allemand, le professeur Schultze, sont tous deux héritiers d’une fortune de 500 millions de francs d’une richissime Bégum. Avec sa part, Sarrasin construit en Amérique une ville idéale, basée sur les plus récentes techniques d’urbanisme et d’hygiène (techniques strictes aux allures utopiques) : France-Ville. Schultze, lui, choisit de construire Stahlstadt — la Cité de l’Acier, une gigantesque usine sidérurgique.
Marcel, le courageux fiancé de la fille de Sarrasin, part espionner la Cité de l’Acier en tant que simple ouvrier de nationalité suisse, mais ses talents le feront gravir l’échelle sociale de l’usine, jusqu’à devenir le dessinateur adjoint de Schultze, qui finit par lui présenter son projet secret de détruire France-Ville avec le gigantesque canon qu’il a conçu.
Un ingénieur, est chargé, par une société “française de la mer Saharienne”, de relancer le projet de l’irrigation du Sahara.
Claude Didry « L’institution du travail » La Dispute 2016
Ibid. p. 23
Ibid p. 24
Ibid, p. 25 Les mots en italiques le sont par moi, A.J.
Ibid. p. 45
Ibid. p. 47
Union syndicale des techniciens
Union syndicale des techniciens et employés de l’industrie
« La CGT et les Cadres, 1936-1992 », p. 12, par Marc Descostes, Georges Pruvost et Guy Scat » (Collection Études et Documents économiques, Centre confédéral d’études économiques et sociales de la CGT)
Confédération générale du travail unitaire (1920-1936)
« L’impensable syndicalisme », p. 51, Gérard Salkowsky (IHS-Ugict)
Gérard Salkowsky, « l’impensable syndicalisme » pp. 70 & 71
Union nationale des Ingénieurs et techniciens
Archives confédérales. Congrès de la Période 1946-1951. Brochure « Le rapport confédéral » p.11
Archives confédérales. Congrès de la Période 1946-1951. Brochure « Les rapport confédéraux »p.87
Ibid. p.27
Ibid. p.131
Ibid. p.132
Ibid. p.135
Ibid. p.138
Ibid. p.124
Ibid. p 128
Ibid.
Voir en annexe I le texte de l’« Annexe spéciale au rapport d’activité intitulée ‘Le Mouvement des Ingénieurs et Cadres’ »
« Il faut donc une analyse critique, et, en étudiant les travaux des uns et des autres, on voit très clairement ceux qui ont sérieusement envisagé toutes les possibilités, ou ceux qui avancent par wishful thinking : l’ennemi juré de la recherche scientifique ! Or il faut avoir une imagination créatrice, un enthousiasme fou, mais en même temps se défier de croire que, parce qu’on a trouvé ce qu’on souhaitait découvrir, on a automatiquement raison. C’est justement là que réside le danger : avoir une ligne de recherche trop fixe. Au fond, il ne faudrait pas avoir de but, parce qu’ainsi vous pouvez tout aussi bien réussir en découvrant quelque chose d’inédit. » (Emile Baulieu – celui de la pilule)
Spécial-Options n° 13 pp. 17 & 18
Claude Didry « L’institution du travail », p. 74
Marie-Anne Dujarier « le management désincarné », Éditions La découverte ,2015
http://www.ugict.cgt.fr/articles/references/charte-pour-lencadrement
Les Éditions de l’Atelier / Éditions ouvrières
Ces trois paragraphes sont extraits condensés des présentations (les pitchs) consultables en quatrième de couverture.
http://www.ugict.cgt.fr/ugict/tracts/urgence-statut-encadrement
Le guide peut être téléchargé sur

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