Si la France n’a pas connu le « Berufsverbot » (interdiction professionnelle) comme en Allemagne, les atteintes aux libertés professionnelles durant la guerre froide existaient bel et bien sous d’autres formes. Voici le témoignage d’André Jaeglé.
« Quelques semaines avant mai 68, une délégation de l’Ugic avait été reçue par le Secrétaire d’État chargé des problèmes de l’emploi, un certain Jacques Chirac. A la fin de l’audience, nous avions saisi ce dernier du problème de « l’habilitation au secret » qui se révélait être une discrimination injustifiée. En réponse il avait affirmé (ou du moins laissé entendre) qu’en effet, notre demande pourrait être prise en considération.
René le Guen confirma notre exigence le 7 novembre, par une lettre adressée au Premier Ministre, Georges Pompidou, chef d’un nouveau gouvernement. Nous reproduisons ci-après la réponse de son Directeur de cabinet qui, pour être prudente, n’en fût pas moins jugée comme un résultat très positif. »
Le fac-similé de cette réponse adressée à René Le Guen se trouve dans le numéro 34 d’Options (février 1969, p.39). En voici le texte.
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Paris, le 12 décembre 1968
Monsieur le Secrétaire Général,
Monsieur le Premier Ministre a bien reçu votre lettre du 7 novembre 1968, relative à « l’habilitation au secret » des militants et adhérents des syndicats C.G.T. d’Ingénieurs, Cadres et Techniciens.
Je vous précise que la puissance publique ne peut communiquer les informations protégées de la Défense Nationale qu’aux personnes qui ont besoin d’en connaître, et qui ont été préalablement autorisées, qu’il s’agisse de. Fonctionnaires, d’Officiers ou de personnels du secteur privé.
Cette précaution est motivée par la nécessité de protéger à la fois les secrets de Défense Nationale et les personnes qui les détiennent contre les investigations des services spéciaux étrangers.
Bien que les conditions dans lesquelles sont données ou non les autorisations de connaître les informations protégées de Défense Nationale ne puisse faire l’objet d’un débat, il est toutefois permis de dire que ces conditions sont définies non à priori, mais d’une manière objective en partant de ce que l’on peut savoir des risques qui sont courus et que les opinions personnelles de chacun sont étrangères à ce genre de préoccupations.
Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire Général, l’expression de mes sentiments distingués.
Bruno de LEUSSE