1968 : Les étudiants et nous

Sous le titre « Les étudiants et nous », le communiqué du secrétariat de l’UGIC du 14 mai 1968 publié dans Options fait suite au déclenchement le 13 mai de la plus importante grève générale du 20ème siècle.

 

« Voici quelques propos recueillis dans les couloirs de la Sorbonne et dans les meetings improvisés du Quartier Latin dans la semaine du 6 au 13 mai « L’Université n’appartient pas qu’aux professeurs et à l’administration » ; « Nous exigeons la fin des silos H.L.M. » ; « La mort violente par la société de consommation » ; « L’imagination au pouvoir ».

Ainsi s’expriment spontanément les étudiants français en l’an de grâce 1968. Non sans de bonnes raisons. Quelles sont, en effet, cette même année, les perspectives que leur offre une société dans laquelle ils vivent, dans laquelle nous vivons ? Une Université malthusienne se limitant à une formation rentable au sens capitaliste et s’ouvrant sur un avenir d’inquiétudes que tente de masquer une civilisation de gadgets.

C’est un mérite, de la part du mouvement étudiant, que d’avoir exprimé avec un courage et une ténacité extraordinaire des refus fondamentaux.

En attirant l’attention sur la situation qui est faite aujourd’hui à l’Université, les étudiants, ont eu raison.

C’est ce qu’a exprimé la proposition faite par Georges Séguy, au nom de la C.G.T., de marquer la prise de position du monde ouvrier par une grève générale de l’ensemble des travailleurs accompagnée de manifestations d’action et d’unité dans toutes les grandes villes, et notamment à Paris.

Des problèmes qui sont les nôtres.

Pour leur part, c’est avec une sensibilité particulière que les cadres, ingénieurs et techniciens de I’U.G.I.C.  ont réagi aux événements du monde étudiant. Non seulement les étudiants d’aujourd’hui seront leurs collègues de demain, mais aucun problème se posant aux uns ne sauraient laisser les autres indifférents. Les problèmes auxquels se heurtent les étudiants (inadaptation de I’enseignement, manque de débouchés professionnels) ont la même origine que ceux rencontrés par les ingénieurs, techniciens et cadres dans les divers secteurs de l’économie. A savoir : le sous-emploi, le chômage, la non-utilisation des capacités, le manque de perspectives.

Les uns et les autres contestent l’ensemble des moyens qui doivent les conduire à accepter sans broncher une certaine « image de marque » du cadre français, respectueux des désirs patronaux, dynamique en heures de travail, travailleur efficace mais modeste en contestation. Moyennant ces qualités, l’avenir lui est ouvert si concentrations, fusions ou arbitraire patronal lui prêtent vie.

On peut concevoir que cette image ne soit pas de nature à offrir aux étudiants des perspectives encourageantes de travail et d’existence. Il en est de même pour les ingénieurs, cadres et techniciens comme pour l’ensemble des travailleurs.

Mais, en termes politiques, c’est le problème même de la démocratie qui est aussi posé par ceux que certains présentent comme gagnés par la dépolitisation. Démocratie dans l’entreprise ou dans l’Université, démocratie dans la cité ou dans le pays. Et aussi le problème du conformisme palliant l’absence de toute participation réelle à la vie politique, intellectuelle et économique.

La notion de profit immédiat, la rentabilité à court terme impliquent cette mainmise générale des groupes financiers, dont le gaullisme est l’image politique.

A l’intérieur de ces contraintes, le mouvement étudiant a connu les difficultés propres à tout mouvement syndical, et particulièrement depuis 1958.

Dès son opposition à la guerre d’Algérie, sa représentativité fut contestée. On s’ingénia à créer, à grands coups de millions, une organisation rivale fantôme, mais docile.

Parallèlement, les possibilités de dialogues furent détruites, les étudiants éliminés des organismes à gestion paritaire, les subventions supprimées, les projets de réforme démocratique de l’enseignement ignorés.

Alors, il faut être bien loin des réalités pour s’étonner aujourd’hui de l’absence de dialogue, ou pour condamner la violence.

La solidarité et la communauté d’intérêts ne sont pas seulement des positions de principe, mais s’expriment dans l’action. Le grand rapprochement du 13 mai dernier doit être le point de départ d’une action concertée à tous les niveaux entre les travailleurs et, en ce qui nous concerne, les cadres et les étudiants. Les premières concessions du gouvernement – évacuation de la Sorbonne et amnistie annoncée le 14 mai – constituent un important recul, mais ne sont, en valeur absolue, qu’un retour à la situation antérieure.

Tout ce qui reste à faire dans le sens du progrès social et de la démocratie implique que le front social du 13 mai doit être, non seulement maintenu, mais élargi pour atteindre les objectifs communs.  A cet égard, les cadres de I’U.G.I.C., souvent eux-mêmes anciens membres de I’U.N.E.F. ou de I’U.G.E., engagent leur responsabilité. Des discussions doivent avoir lieu. Une coopération totale doit s’établir entre le mouvement syndical étudiant et notre mouvement syndical d’ingénieurs, techniciens et cadres.

C’est l’intérêt des cadres d’aujourd’hui et de ceux de demain. »

14 mai 1968.

LE SECRÉTARIAT DE L’U.G.I.C.

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