Georges Séguy, secrétaire général de la CGT de 1967 à 1982, s’exprimait dans les colonnes de l’Humanité en octobre 2010 sur les enseignements à tirer de mai 1968 concernant les rapports entre le mouvement social et la politique.
Pourquoi 68 fut un succès social et un échec politique ?
Nous ne sommes pas dans une situation strictement comparable à celle de Mai 68. Mais il est incontestable que ce mémorable printemps recèle, quarante-deux ans après, des enseignements qui valent certes d’être pris en considération aujourd’hui.
L’explosion de Mai 68 est survenue d’un profond mécontentement, à la fois universitaire et social. Non seulement toutes possibilités de dialogue et de négociation étaient verrouillées par un gouvernement et un patronat intransigeants, mais une série d’ordonnances gouvernementales venaient de frapper la Sécurité Sociale. Début 1966, un accord d’unité d’action syndicale, conclu entre la CGT et la CFDT, avait stimulé la mobilisation ouvrière. Plusieurs initiatives d’actions syndicales d’ampleur nationale, significatives d’une tension sociale ascendante, avaient marqué l’année 1967. Alors que le mouvement universitaire et particulièrement celui des étudiants s’accentuait, plusieurs initiatives d’actions syndicales montraient une tension sociale forte, annonçant un printemps particulièrement combatif.
C’est ainsi qu’émergea très vite l’esprit de solidarité et de lutte entre étudiants et travailleurs. Le déchaînement d’une répression policière violente contre les étudiants dans la nuit du 11 mai au Quartier latin incita la CGT à lancer au nom de cette solidarité, un appel à la riposte ouvrière qui se traduisait, le 13 mai, par une journée de grève nationale unitaire accompagnée de puissantes manifestations à Paris et dans toute la France sous l’unique mot d’ordre : « Travailleurs et étudiants solidaires » Le succès de cette journée fit rapidement germer, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé, l’idée de prolonger la lutte par un arrêt de travail total. C’est ainsi que les salariés de milliers de petites, moyennes et grandes entreprises dépourvues de syndicats se réunirent et informés, consultés objectivement, décidèrent démocratiquement d’arrêter le travail, d’occuper leur entreprise et de se réunir quotidiennement pour gérer ensemble leur lutte.
Au sein de la direction nationale de la CGT, la question de savoir si le moment n’était pas venu de lancer un mot d’ordre de grève générale fut posée. J’ai gardé en mémoire ma réponse à cette interrogation : « Mieux vaut laisser la gestion de la grève aux travailleurs eux-mêmes que de faire dépendre sa direction et son issue d’un état-major national quel qu’il soit. »
Bien que certaines difficultés de caractère politique aient perturbé les liens de solidarité entre travailleurs et étudiants, une même aspiration d’émancipation sociale et culturelle émanait de cette ardente volonté de solidarité. Elle se résumait en quelques mots, qui, quarante-deux ans après, n’ont pas pris une ride : « Travailler et vivre autrement »
C’est cette aspiration que Sarkozy a vainement tenté d’ensevelir dans l’oubli en lui opposant la formule : « Travailler plus pour gagner plus » On entend aujourd’hui des commentaires « d’ex-soixante-huitards » qui ont évolué vers la droite à propos de l’échec politique de Mai 68. A ce propos, il y a certainement à réfléchir à la raison pour laquelle Mai 68 fut un succès social, avec le résultat très positif des négociations de Grenelle, et un échec politique, avec les élections législatives qui ont suivi.
Cette réflexion concerne essentiellement la gauche politique qui pensait pouvoir s’emparer du gouvernement sans tenir compte du profond mouvement social et de la volonté émancipatrice de la jeunesse.
Le moment n’était pourtant pas à une tentation étroitement partisane « de chacun pour soi », mais à un élan unitaire de « tous ensemble », pour proposer des objectifs progressistes communs.
C’est de toute évidence cet enseignement de Mai 68 qui revêt présentement le plus d’actualité.
Téléchargez le document : 20101020 Seguy 1968