MAI 68 et statut cadre

Cette contribution de Michel DAUBA, ancien secrétaire de l’Ufict Métallurgie à sa naissance en 1973, revient sur les réflexions que MAI 68 a amenées sur le statut cadre.

 

L’UGICT nous demande de prendre notre part d’institut d’histoire dans la défense de l’existence du « statut cadre ».

On peut le faire en reprenant l’histoire de ce statut, ce qui renvoie à la situation de la Libération avec la création conjointe du statut et des régimes de retraites complémentaires AGIRC et ARCO, période marquée par la volonté patronale d’isoler les cadres des autres salariés pour mieux les garder sous son contrôle, avec la création de la CGC qui dominera durant trois décennies la syndicalisation de ces catégories de salariés, allant jusqu’à profiter (le financement de ses permanents) de la gestion paritaire des caisses AGIRC, et ce jusqu’à la décision de la CGT de créer l’UGICT……Notons que sur cette période c’est le concept de « hiérarchie » (salaires, fonctions, carrières), et donc une notion de « pouvoirs » délégués par le patronat, qui justifiât seule l’appartenance au statut….. Bien davantage que les qualifications (on parle bien de « statut cadre » et non pas du diplôme d’ingénieur par ex, incluant les agents de maitrises et chefs de services sortis du rang, dès le moment où ils ont des fonctions dominantes d’encadrement.)….. Ce n’est pas sur ce terrain d’origine qu’on peut mener aujourd’hui la bataille du statut…Rappelons qu’au lendemain de 68, lors de ses assises de Marseille, le CNPF comprend que le mouvement  : « a montré la fragilité de nos structures sociales » et « qu’il est décisif que l’encadrement ne change pas de camp » (il les considère bien comme » en mission » à son service)…..C’est cela qui sera remis fondamentalement en cause, dans la même période, avec le syndicalisme « spécifique » dans la CGT.

On peut le faire aussi en faisant une analyse évolutive et fines des rapports sociaux dans l’entreprise : partant des délégations de pouvoirs et de fonctions du capital (patronales) qui sont effectivement une justification essentielle de la « spécificité » des fonctions des ICT (pouvoirs hiérarchiques certes, mais aussi ceux du développement et des choix  technologiques qui influent sur les conditions de travail et l’emploi des « encadrés » qui deviendront une dominante de leurs fonctions (1), en rapport direct avec une élévation généralisées de leurs qualifications (apparitions des IUT dans les années 60-70 ; multiplications des écoles d’ingénieurs…..Rappelons qu’avant cette période, dans la métallurgie par ex, 60 % de l’encadrement était « sortis du rang).

L’envisager comme ça ramène la question de la défense du statut cadre à celle que nous abordons dans le débat sur les « structures » professionnelles dans le syndicat et la justification sur le fond de la « spécificité » (à la différence de la « diversification »), avec les formes d’organisation qui lui correspondent.

Quant à analyser la situation d’aujourd’hui, mais c’est aux directions actuelles de l’UGICT de le faire, je considère que l’organisation spécifique reste une nécessité et donc avec elle la reconnaissance et le maintien du « statut cadre », mais cette fois construite sur la reconnaissance des qualifications élevées (en lieu et place des fonctions d’encadrement stricto sensu ) et sur le rôle qu’ils jouent dans les choix technologiques que les directions d’entreprises, de plus en plus « financières », sont de moins en moins capables d’appréhender (voire ne cherchent même pas à maitriser sauf à y introduire les critères de « productivité » et de « rentabilité »)…..Ne pas l’envisager comme ça comporte le risque de laisser le patronat justifier de ne réserver le « statut cadre » qu’aux seuls « managers », considérant le gros des effectifs Ictam comme du personnel, certes hautement qualifié, mais restant quelque part un personnel d’« exécution ».

En 1968 déjà, les technologiques mis en œuvre par les ingénieurs et les techniciens justifiaient leur « spécificité » et le besoin d’une organisation qui leur corresponde : dans mon bureau d’études de l’Aéro, nous passions de la conception de prototypes aux mises en productions élargies, ce qui justifiait de notre part des choix de « rationalisation » pouvant aller jusqu’à décider d’éventuelles sous-traitances qui impactaient directement la charge des ateliers de l’entreprise et donc l’emploi…..Nous avions besoin de pouvoir en débattre entre nous dans un cadre permettant de ne pas être mis en contradiction : entre notre opinion de syndiqué (éventuellement exprimée dans une réunion en présence des ouvriers eux-mêmes) et la mise en œuvre le lendemain de ce qu’exigeait de nous la direction….Ce pourquoi nous étions payés…..Voilà pourquoi j’étais enthousiaste à l’idée de l’entrée des techniciens dans l’UGIC de cette époque….Voilà pourquoi, les deux Congrès cde Versailles qui ont suivi 1968, mettaient en première exigence la « reconnaissance du droit des ICT à pouvoir s’exprimer librement et collectivement sur tous les problèmes de l’entreprise »….C’était déjà envisager  l’intervention syndicale dans les gestions et les choix stratégiques, dont les choix technologiques.

M Dauba – Intervention au CA IHS Ugict du 07 03 2019

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