Spécial EHPAD – Scandale ORPEA : en tirer (vraiment) les leçons

Edito

Ce n’est pas la première fois que les conditions d’accueil en EHPAD défraient la chronique. L’opinion s’en émeut, les reportages journalistiques se multiplient durant quelques semaines puis on remet le couvercle … jusqu’au scandale suivant où le cycle se répète.

L’enquête de Victor Castanet avec « les Fossoyeurs » sera-t-elle un nouveau coup d’épée dans l’eau ou l’occasion d’inventer un autre système ?

Il y a quelques raisons d’espérer cette fois, car l’enquête a su aller au-delà du scandale de maltraitance individuelle pour interroger la racine du problème et les ravages causés par la financiarisation du secteur, la fameuse « silver economy ».

Les logiques de prédation d’un groupe capitaliste lucratif sur le dos des personnes âgées dépendantes sont mises à nu dans leur réalité la plus crue. L’enquête nous donne ainsi les moyens d’aller au-delà de l’indignation légitime, afin d’établir des exigences pour que ceci ne se reproduise plus.

Le premier enseignement à tirer est que la logique du marché n’a pas sa place dans notre champ professionnel. La recherche du profit est incompatible avec la qualité de la prise en charge. Plus de profit, c’est moins de qualité. Il n’y a pas de logique « gagnant-gagnant » dans ce système.

Partout où la financiarisation est à l’œuvre, les attentes des actionnaires écrasent toute autre considération et conduisent à la négation de la mis-
sion sociale de ces établissements.

Les groupes lucratifs n’ont pas leur place dans le champ médico-social. Ils représentent aujourd’hui, près de 20 % des capacités d’accueil.

Il ne s’agit pas de fermer ces établissements mais d’en reprendre le contrôle par une nationalisation et une intégration dans le secteur public.

Le second enseignement est que l’accroissement ponctuel des contrôles ne permettra pas de garantir au long cours la qualité de la prise en charge.

A ce jour, peu de contrôles ont été effectués. Et quand ils l’ont été, c’est avec un retard qui a largement permis à Orpéa de prendre des mesures correctives pour mettre sous le tapis les dysfonctionnements les plus importants.

Les contrôles sont par ailleurs trop rares pour garantir la qualité au fil du temps. Les contrôles ne sont pas non plus adaptés pour mettre en question le modèle économique des groupes lucratifs.

Autant dire qu’ils serviront plus aux pouvoirs publics à se donner bonne conscience plutôt qu’à infléchir réellement la situation des Ehpad. On trouvera quelques lampistes mais les actionnaires continueront à dormir sur leurs deux oreilles. Le troisième enseignement est que le scandale d’Orpéa doit aboutir à une prise de conscience collective de l’enjeu de société et de prise en charge que représente le vieillissement de la population et l’accroissement
de la dépendance.

Au-delà des effets d’annonce des politiques en campagne électorale, c’est une réelle stratégie de déploiement qui est à conduire sur l’ensemble du secteur. Il faut clairement changer de braquet et donner au secteur les moyens de prendre en charge dans la dignité et le respect toutes les personnes dépendantes.

Cela suppose un plan de recrutement massif, une augmentation du nombre de places avec toutes les modalités de prise en charge (il y a beaucoup à dire aussi sur le secteur de l’aide à domicile) et surtout, des ratios d’encadrement qui soient complètement revus avec un minimum d’un soignant par résident.
Cette exigence forte portée de longue date par la CGT doit désormais se concrétiser.

Le quatrième enseignement porte sur la capacité d’investissement et de construction de structures médico-sociales. Le scandale d’Orpéa montre bien que le groupe privé s’est engouffré dans une brèche du système.

Notre sous-capacité chronique à investir sur fond public dans la construction de nouvelles structures a permis à Orpéa de fonder son modèle économique sur une capacité à financer de vastes programmes immobiliers qui sont ensuite revendus à des investisseurs qui attendent une rentabilité de plus de 5 % sur chaque place construite.
La charge de l’investissement initial ne pèse donc que très peu sur Orpéa qui en tire un profit maximum avec des établissements qui cherchent à comprimer les coûts de prise en charge pour offrir la rentabilité escomptée aux investisseurs.

Ce modèle conduit à une croissance exponentielle pour le groupe, une rentabilité exceptionnelle pour l’actionnaire et à l’horreur quotidienne pour le pensionnaire.

Il faut donc que les pouvoirs publics reprennent la main et retrouvent une capacité à investir massivement et à planifier un maillage territorial qui réponde en premier lieu aux besoins de la population vieillissante.
Cela suppose bien sûr que les acteurs politiques dont les liens avec les groupes privés lucratifs sont plus qu’ambiguës, à définir une véritable politique de santé publique et à s’y tenir. Le scandale d’Orpéa a aussi jeté un regard cru sur le management des établissements. La « variable RH » est une clef de rentabilité et les directeurs ne sont là que pour être les courroies de transmission de la gestion au moindre coût.

On voit comment les directeurs de sites sont maintenus sous la coupe directe du siège avec quelques grands directeurs à la rémunération scandaleuse comme Yves Le Masne dont le salaire annuel atteignait des sommets (1,3 million d’€ annuel).

Ce système pyramidal où la base est tenue d’une main de fer par le sommet et où les directeurs ne sont qu’un rouage inféodé aux actionnaires invite à repenser complètement la gouvernance et l’équilibre des pouvoirs au sein des établissements.

Les directeurs doivent disposer d’un véritable droit d’opposition et d’alternative pour promouvoir le service public et résister aux intérêts privés pour faire valoir une logique de service public.

Seule, une formation initiale mettant l’accent sur le service public prenant racine sur les besoins de la population et non sur les impératifs économiques de gestion, sera à même de garantir une culture professionnelle partagée sur les enjeux du service public.
Les directeurs ne sont pas là pour rationaliser et gérer la pénurie mais pour définir et mettre en œuvre une politique publique au service de la population.

 

SOMMAIRE :

P.1-2 : Edito : Scandale ORPEA : En tirer (vraiment) les leçons

P. 3-5 : Réflexions autour de l’affaire Orpéa

P. 5-10 : Les Ehpad dans la tourmente
Dates des différentes rencontres–réunions

P. 11-19 : Des directions d’Ehpad captives des logiques de gestion et des vies sur ordonnance ultime

 

Téléchargez la Lettre d’actualité bimestrielle de l’UFMICT-CGT : lettre_directeurs_no_2_-_mars_2022

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Publié le :
1 mars 2022

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