Le Monde.fr avec AFP | 04.08.2015
photo dpa
Le procureur général allemand, Harald Range, a été mis en retraite anticipée d’office par le ministre de la justice, Heiko Maas, à la suite de ses déclarations dénonçant une « ingérence intolérable » du ministère dans le traitement du dossier Netzpolitik, rapporte la presse allemande.
Le blog Netzpolitik, engagé dans la défense des libertés numériques, fait l’objet d’une enquête préliminaire après avoir publié en début d’année des documents présentés comme les projets de l’Office de protection de la Constitution (renseignement intérieur) pour surveiller Internet. Jeudi, le blog a révélé que M. Range avait lancé une enquête préliminaire pour « trahison » contre deux de ses journalistes, du jamais-vu depuis le début des années 60.
Ces révélations ont provoqué une vague de protestations en Allemagne, de la part des médias et de responsables politiques accusant la justice de volonté de censure. Le site a également reçu le soutien d’organisations de défense des libertés individuelles dans plusieurs pays. Vendredi, les poursuites pour « trahison » avaient finalement été suspendues, dans l’attente d’un examen plus complet des documents publiés pour déterminer s’ils relevaient bien du secret d’Etat.
Le procureur attaque son ministre de tutelle
Coup de théâtre, ce mardi matin : dans une déclaration extrêmement inhabituelle, par communiqué et devant les caméras, le procureur général Harald Range a accusé le ministre de la justice, Heiko Maas, d’« attaque intolérable contre l’indépendance de la justice ».
Dans sa contre-attaque, le procureur Range explique qu’un expert indépendant a jugé que les documents mis en ligne par le blog relevaient bien du secret d’Etat, comme l’affirmait le patron du renseignement intérieur, Hans-Georg Maassen, qui a porté plainte contre X.
Dans sa déclaration, M. Range dit avoir informé son ministre de tutelle, qui lui aurait dit de « mettre fin immédiatement » aux expertises extérieures. S’il a obtempéré, il a jugé qu’« influencer une enquête parce que son résultat peut ne pas être politiquement opportun est une attaque intolérable contre l’indépendance de la justice ».
Plus largement, il explique que « la liberté de la presse et d’expression est un bien de valeur. Mais cette liberté, y compris sur Internet, n’est pas illimitée. Elle n’exonère pas les journalistes du devoir de respecter la loi ». « Il est de la responsabilité de la justice de faire respecter la loi, écrit-il encore. Je ne peux accomplir cette tâche que libéré des influences politiques. »
La controverse a pris d’autant plus d’ampleur que le même M. Range a récemment renoncé à toutes poursuites dans l’affaire de l’espionnage présumé d’un téléphone portable de la chancelière allemande Angela Merkel par l’agence américaine de renseignement NSA.
Mardi soir, M. Range a été mis d’office à la retraite anticipée par le ministère de la justice, au motif que « la confiance [envers M. Range] a désormais disparu ».
« Effet dissuasif » pour les journalistes d’investigation
Le fondateur de Netzpolitik.org, Markus Beckedahl, était pour sa part repassé mardi à l’offensive à l’antenne de la chaîne allemande N24, voyant dans l’enquête préliminaire de M. Range « une tentative d’intimider » ceux travaillant sur les scandales de surveillance numérique. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) s’est aussi inquiétée mardi de l’attitude de la justice allemande, relevant dans une lettre au ministre des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, que « la menace d’une inculpation de trahison a clairement un effet général glaçant pour les journalistes effectuant du journalisme d’investigation ».
Dans ce courrier, la représentante de l’OSCE pour la liberté de la presse, Dunja Mijatovic, a appelé les autorités allemandes à s’assurer du respect de « la liberté d’information et de la liberté des médias » et a dit « espérer » que l’enquête visant Netzpolitik était définitivement close.